Introduction
Le Programme Spécial de Recherches et de Formation (TDR) de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) soutient des activités de recherche et de formation pour renforcer la mise en œuvre des interventions en santé et faciliter leur accès pour les populations des pays en développement. TDR soutient en particulier la lutte contre les maladies infectieuses dont les maladies vectorielles, telles que le paludisme, les arboviroses, les leishmanioses, les trypanosomiases et les filarioses (entre-autres). Ces maladies sont fortement influencées par les conditions climatiques à cause de leur mode de transmission qui inclut des vecteurs et des hôtes différents dans un environnement particulier. Les changements climatiques récents ont déjà des impacts visibles sur ces maladies, bien qu’il soit encore très difficile de prévoir ces impacts avec une résolution géographique fine. En effet, depuis environ 50 ans, les températures ont augmenté partout sur la planète avec des variations des températures moyennes de +0,2 à +4°C (https://data.giss.nasa.gov/gistemp/maps/index_v4.html) qui affectent principalement les zones polaires et continentales où vivent les populations humaines. Dans les principales aires de distribution des maladies vectorielles, l’augmentation moyenne des températures est de +2°C, ce qui peut modifier considérablement les durées d’amplification des pathogènes dans les vecteurs, voire les raccourcir de plusieurs jours. Les régimes de précipitations connaissent également des fluctuations importantes autant en intensité qu’en nombre de jours. Les zones tempérées et équatoriales sont soumises à des précipitations plus intenses et, à l’opposé, les zones tropicales ont augmenté leurs nombres de jours de sécheresse. Ces modifications vont donc affecter les gîtes de développement de certains vecteurs comme les moustiques qui ont besoin d’eau pour se développer. Enfin, les changements climatiques se traduisent également en évènements climatiques exceptionnels plus fréquents. Les inondations, les ouragans et les sècheresses se font de plus en plus nombreux, intenses, fréquents et imprévisibles. Le nombre d’inondations et d’ouragans sont ainsi passés d’une dizaine par an dans le monde dans les années 1960 à 1980 à plus d’une centaine après les années 2000 (www.emdat.be). L’impact de chaque évènement sur les maladies à vecteurs reste très difficile à prévoir mais ces évènements entrainent des désorganisations importantes pour les systèmes de santé.
Impact des changements climatiques sur les maladies à vecteurs
Les effets visibles du dérèglement climatique sur les maladies à transmission vectorielles sont déjà constatés à plusieurs niveaux des cycles de transmission. Par exemple, les arthropodes vecteurs qui ne peuvent pas réguler eux-mêmes leur température corporelle sont dépendants des températures de l’environnement qui vont conditionner leur fonctionnement physiologique et leur capacité à amplifier et transmettre les pathogènes. Les températures vont également influencer les capacités et vitesses de développement dans les lieux de reproduction, dont les mises en eaux peuvent être modifiées par les changements dans les précipitations (Figure 1).
Figure 1. Facteurs climatiques ayant un impact sur les vecteurs de maladies et la transmission des maladies vectorielles (WHO, 2020)
Ces changements vont aussi avoir des effets sur les autres éléments des systèmes vectoriels, tels que les hôtes animaux ou les conditions environnementales. Dans un premier exemple provenant du Népal, on constate que les augmentations des températures sont à l’origine de modifications des zones géographiques de transmission du paludisme avec des districts situés les plus au nord du pays et à plus haute altitude qui rapportent des cas de paludisme depuis le début des années 2000 (Dhimal et al., 2015), avec presque un doublement du nombre de districts où la maladie est devenue endémique. Une tendance similaire est constatée dans ce même pays pour la transmission de la dengue où le nombre de district rapportant des cas est en forte augmentation. Cette expansion géographique est d’autant plus problématique qu’elle concerne des zones marginales et expose des populations qui n’ont pas d’immunité contre ces maladies et qui font donc des formes plus graves. Et les prévisions ne sont pas bonnes car si les augmentations de températures se poursuivent, les limites altitudinales de transmission vont augmenter et les zones impaludées s’étendre. Les modifications des régimes de précipitations ont des impacts similaires avec par exemple le déplacement observé depuis environ 10 ans de la distribution géographique des vecteurs comme dans le cas des tsétsés et donc des trypanosomiases au Burkina Faso (Courtin et al., 2010). Ce déplacement des zones de transmission vers le sud à cause de la sècheresse expose de nouvelles populations humaines et animales à la maladie dans des contextes nouveaux auxquels les pays ne sont pas préparés. En ce qui concerne les évènements exceptionnels, les inondations en Ouganda en 2015-2016 ont été suivis par une forte augmentation de l’incidence du paludisme qui bien qu’anticipée posent des problèmes presque insolubles aux systèmes de santé du pays, déjà éprouvés par les conséquences directes des inondations et les autres maladies infectieuses comme le choléra (Boyce et al., 2016). L’impact de ces changements est également aggravé par le manque de capacité des systèmes de santé qui sont en situation critique dans un grand nombre de pays en développement. Une étude récente sur la capacité des pays de la région Afrique pour surveiller, diagnostiquer, traiter les cas graves et lutter contre les vecteurs des arboviroses a montré que plus de la moitié des pays ont des capacités limitées dans plusieurs secteurs (WHO, 2022). Enfin, l’impact des changements climatiques sur les maladies à vecteurs semble peu prévisible avec une résolution géographique fine car leur transmission dépend de nombreux autres facteurs biologiques mais aussi socio-économiques. Dans les facteurs biologiques, on peut citer la présence d’un hôte amplificateur dont la distribution peut aussi subir l’impact des changements climatiques, comme dans le cas du virus du Nil Occidental dont les hôtes amplificateurs sont des oiseaux migrateurs qui modifient actuellement leurs routes de migration. Les facteurs socio-économiques incluent l’urbanisation, les aménagements routiers, les aménagements de développement comme les barrages, qui modifient les habitats naturels et les écosystèmes. Ces impacts peuvent s'ajouter à ceux des changements climatiques ou bien limiter leurs effets (Fouque et al., 2019). Cette imprévisibilité ajoute donc des défis à surmonter qui nécessitent de nouvelles approches.
Réponse, résilience et aide au développement
Pour répondre à ces défis, l’OMS a proposé une Réponse Globale pour la Lutte Antivectorielle, approuvée par 197 pays lors de l’Assemblée mondiale de 2017 (WHO, 2017). Cette réponse inclut quatre piliers, dont la collaboration multi-sectorielle, l’engagement et la mobilisation des communautés, le renforcement de la surveillance avec l’évaluation des interventions et l’intégration des outils et approches. Cette réponse doit se baser sur le renforcement des capacités et l’augmentation de la recherche théorique et appliquée. Enfin, la réponse prend en compte l’impact possible des changements climatiques, non seulement sur les vecteurs, mais aussi sur les comportements des populations humaines. L’engagement et la mobilisation des communautés peuvent se décliner de deux façons principales, qui sont soit la participation active des personnes, soit l’acceptation d'une intervention gérée par d’autres. Dans le premier cas, les personnes doivent être « formées », comme par exemple les agents de santé communautaires. Les moyens requis sont donc beaucoup plus importants et la formation nécessite une éducation de base, déjà présente dans les sociétés ou à mettre en place. La formation doit également être participative pour tenir compte des particularités de chaque société, qui vont décliner l’engagement des individus selon des codes sociaux établis. A titre d’exemple, l’absence de latrines séparées pour les femmes dans de nombreux centres de santé en Afrique de l’Ouest est un frein à leur participation car, pour des raisons biologiques et sociologiques, elles ne peuvent guère y passer leurs journées. Cette absence se traduit par une moindre fréquentation de ces centres, gérés par des hommes, et entraine un retard dans le diagnostic et le traitement des maladies, en particulier du paludisme. Le deuxième type d’engagement communautaire qui est l’acceptation d’interventions gérées par d’autres est plus accessible car les personnes doivent être seulement « informées ». Dans tous les cas, la taille et le caractère homogène des groupes sociaux auxquels on s’adresse est un élément à prendre en compte pour une formation/information plus efficace.
La priorité pour de nouvelles technologies et approches de lutte antivectorielle doit se faire dans un contexte où les pays touchés sont soumis à des ressources limitées. La résilience des pays les plus touchés à la fois par les maladies à vecteurs, les changements climatiques et la pauvreté doit ainsi inclure des aides à la formation et à l’utilisation d’un large éventail d’outils, avec notamment des innovations technologiques. Par exemple, la lutte contre les trypanosomiases animales et humaines en Tanzanie utilise maintenant de la modélisation des zones à plus grand risque de transmission, accessible sur téléphone portable et donc disponible pour les éleveurs après une formation de base (Nnko et al., 2017). Les stratégies de lutte et de prévention de ces maladies devront être contextuelles et centrées sur les populations, et en particulier les plus vulnérables. Cela signifie que les outils dont nous disposons actuellement pour la surveillance, tels que le diagnostic différentiel et notamment les tests rapides, la prévention par l’information et l’élimination des vecteurs, le contrôle de ces maladies à la fois par la chimioprophylaxie et la thérapeutique, doivent être adaptés au contexte dans lequel on les déploie, contexte qui est à la fois abiotique et donc climatique, biologique (avec des environnements et des vecteurs présentant des caractéristiques particulières), mais aussi humain, dans des sociétés qui ont des comportements définis et des règles établies. La contextualisation ne demande pas nécessairement plus de moyens techniques, financiers et humains, mais elle nécessite une approche différente de la façon dont ces moyens sont utilisés. Ainsi le déploiement des tests de diagnostic rapide pourra ne pas être uniforme dans un pays donné, mais plutôt réservé aux zones à forte incidence avec de faibles capacités, afin que l’accès aux traitements soit aussi plus rapide. Enfin, les populations les plus vulnérables sont les maillons faibles de la santé, et on ne peut donc pas renforcer l’accès à la santé dans un pays si on oublie ces populations, qui doivent bénéficier d’une attention particulière.
Ces approches contextuelles doivent aussi être multi-sectorielles et en adéquation avec les Objectifs de Développement Durables (ODDs) des Nations Unies, car l’impact des changements climatiques sur les maladies à vecteurs ne peut pas être appréhendé sans connaitre l’influence des autres changements globaux comme la démographie, l’urbanisation et la modification des environnements. Cependant, la part actuelle des dépenses de santé pour les ODDs ne permet pas de répondre aux objectifs et les aides pour la santé restent très inférieures aux besoins et même inférieures à d’autres secteurs comme les infrastructures et les dépenses sociales. Sans un réajustement des dépenses pour la santé, le développement reste impossible et l’impact du changement climatique comme celui des crises ne fera qu’aggraver la situation et les inégalités.
Conclusion
L’impact des changements climatiques sur les maladies à vecteurs ne peut être appréhendé sans connaitre l’influence des autres changements globaux (démographie, urbanisation, modification des environnements et autres). La globalisation des économies et des échanges permet une extension très rapide des maladies qui challenge la préparation des systèmes de santé et questionne leur flexibilité et leur résilience. L’interdépendance entre les populations humaines au niveau global est devenue une évidence, qui nécessite plus que jamais de s’occuper en priorité des plus vulnérables. Les nouvelles approches sur la santé globale devront intégrer les particularités de chaque contexte, population et environnement, car les solutions uniques pour tous ne fonctionnent pas. L’aide au développement doit donc intégrer ces nouvelles variables pour devenir plus efficace et atteindre les objectifs fixés.
Bibliographie
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Courtin, F., Rayaissé, J.-B., Tamboura, I., Serdébéogo, O., Koudougou, Z., Solano, P., Sidibé, I. (2010). Updating the Northern Tsetse Limit in Burkina Faso (1949–2009): Impact of Global Change. Int. J. Environ. Res. Public Health 2010, 7, 1708-1719. https://doi.org/10.3390/ijerph7041708.
Dhimal, M, Ahrens, B, Kuch, U. (2015). Climate Change and Spatiotemporal Distributions of Vector-Borne Diseases in Nepal – A Systematic Synthesis of Literature. PLoS ONE, 10(6): e0129869. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0129869.
Fouque, F, Reeder, JC. (2019). Impact of past and on-going changes on climate and weather on vector-borne diseases transmission: a look at the evidence. Infect Dis Poverty, 13;8(1):51. doi: 10.1186/s40249-019-0565-1. PMID: 31196187; PMCID: PMC6567422.
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