Introduction
Cette contribution étudie trois prolongements esthétiques donnés aux dernières suggestions de Bruno Latour, invitant les lecteurs d’Où atterrir. Comment s’orienter en politique (2017) et d’Où suis-je (2021), à devenir terrestres. Est terrestre qui prend conscience des multiples enchevêtrements qui rendent sa vie possible : enchevêtrements organiques avec d’autres vivants, humains et non-humains, mais aussi avec les éléments, les objets, et les réseaux de toutes factures.
L’atelier How to be terrestrial, les ateliers organisés par le collectif Où atterrir et le réseau des ZOÖP entreprennent tous d’inviter les participant.e.s à un tel devenir terrestre. Ils constituent trois prolongements esthétiques, plutôt qu’artistiques, de la pensée latourienne, parce que les démarches n’entendent pas donner lieu à des œuvres d’art, ni surtout des œuvres closes et achevées. Certaines entendent être politiques, tout en relevant de processus inspirés par des modes de recherche artistique. Par ailleurs, toutes sont profondément ancrées et dépendantes du contexte dans lesquels s’inscrivent les participant.e.s : elles montrent de ce fait comment nos différents modes d’action et de pensée sont interreliés en prenant appui sur une recherche créative des interdépendances qui font de chacun.e un.e terrestre. Après un rapide retour sur les visions latouriennes de ce devenir, l’article étudiera les diverses modalités développées par chaque projet dans la singularité de son contexte et de ses participant.e.s.
L'art du devenir terrestre
On peut considérer que le développement de sujets terrestres relève d’un art, de même que la critique relève d’un art selon Michel Foucault. Les deux processus représentent de fait un projet de subjectivation et de connaissance essentiel mais incertain, sans doute inachevable, « un moyen pour un avenir ou une vérité qu’[ils] ne saur[ont] pas » (Foucault, 2015, p. 33-75).
Latour en fait néanmoins la réponse à ses questions nodales, que faire « face à Gaïa », « où atterrir », notamment à l’issue de l’ouvrage éponyme qui entend donner des clés pour s’orienter en politique. « Terrestre » est tout d’abord un qualificatif aussi vaste et puissant que ce qu’il comprend, c’est un adjectif et un nom, nommant les agents qui vivent selon un état d’être. Être terrestre consisterait à « retrouver la matérialité et redonner de l’autonomie, de la temporalité, de l’histoire à toutes les puissances d’agir et à leur distribution » (Latour, 2015, p. 271). La puissance d’agir ou agentivité est ce qui permet de reconsidérer les êtres autour de nous – d’aucun.e.s diraient de les revaloriser si le changement n’était plus profond et n’impliquait de reconfigurer nos relations avec eux. Dans Face à Gaïa (Ibid., Conférence n°2 « Comment ne pas (dés)animer la nature »), le philosophe des sciences décrit notamment la puissance d’agir d’un fleuve, après avoir montré que dans le protocole scientifique, l’observant découvre d’abord des agissements et des effets avant de découvrir l’entité responsable et de la nommer. La puissance d’agir est ainsi constitutive de l'existence de l’entité. Une fois nommée toutefois, l’entité est définie comme telle et ses puissances d’agir disparaîtraient dans sa description au profit d’un nom isolé de son contexte, faisant ainsi disparaître une partie de ce qui la fait exister. Mais le fleuve serait « fleuve » parce qu’il interagit en permanence avec une multiplicité d’autres êtres qui existent dans et par cette relation. Latour s’appuie plus largement sur l’appréhension de l’être comme holobionte, notion théorisée par Lynn Margulis en 1991 pour décrire la relation entre l’être humain et la multiplicité des bactéries qui l’habitent et le co-constituent. Ces découvertes impliquent que les humains comme l’ensemble des êtres vivants sont en constant et viscéral état d’interdépendance, ce qui décale le rapport que l’être humain a eu culturellement tendance à instaurer dans son rapport d’extranéité au vivant et met par conséquent fin au dualisme nature/culture – la nature étant co-constituve de chacun.e et la culture faisant partie des multiples boucles de rétroaction par lesquelles le vivant ne cesse de se recomposer et de transformer ceux qui sont en interaction avec lui. De ce fait, cela implique une plus grande attention portée au vivant mais aussi aux étants abiotiques, puisque tous sont une partie constituante de ce qui fait l’être, en cela que le milieu fait partie intégrante de l’individu et ne saurait constituer un décor.
Dans Où atterrir, Latour propose de « définir les terrains de vie comme ce dont un terrestre dépend pour sa survie et en se demandant quels sont les autres terrestres qui se trouvent dans sa dépendance » (Latour, 2017, p. 120). Un processus pour devenir terrestre consisterait donc en une forme d’enquête répondant aux questions suivantes : « à quoi tenez-vous le plus ? Avec qui pouvez-vous vivre ? Qui dépend de vous pour sa subsistance ? Contre qui allez-vous devoir lutter ? Comment hiérarchiser l’importance de tous ces agents ? » (Ibid., p. 121). Une telle enquête est inachevable mais doit être entreprise pour se ressaisir de son terrain de vie, de ses capacités d’action, en développant activement un réseau d’agents et d’alliances, à partir de l’existant ou de ses potentialités. Ce processus comprend un « rassemblement » de données et d’êtres (« gathering ») déjà appelé de ses vœux dans l’article Why has Critique Run Out of Steam - From matters of facts to matters of concern1, qui produit du concernement en sus de la critique. Au-delà de ce rassemblement, les agents sont invités à faire preuve de créativité dans la reconfiguration de leurs relations. L’acte créatif est également émancipateur, amenant à « innover en profitant des limites » (Latour, 2017, p. 104) et à faire alliance avec ce qui nous co-constitue.
How to be terrestrial
L’atelier animé par Mira Jo Hirtz est une « expérience fondée sur le mouvement »2, proposée dans le cadre de l’exposition Critical Zones. Observatories for Earthly Politics, présentée au Zentrum für Kunst und Medien de Karlsruhe, et co-curatorée par Latour. Les observations se fondent sur ma participation [Eliane Beaufils] à l’un des nombreux ateliers en ligne organisés durant les deux années d’exposition en 2020-2021, et toujours conçus de la même manière.
Mira Hirtz accueille les participant.e.s en leur présentant un objet auquel elle tient, qui reste sur son bureau ou dans son tiroir depuis plus de dix ans : un petit oiseau bricolé associé à de nombreux moments. Elle invite chacun.e à trouver dans la pièce une chose qui retient son intérêt. Puis les participant.e.s sont convié.e.s à se demander pourquoi iels s’intéressent à cet objet ; iels ont ensuite plusieurs minutes pour retracer en pensée l’itinéraire de l’objet jusqu’à eux – depuis la collecte des matériaux à leur appartement, en passant par fabriques et circuits marchands. Après ces exercices d’imagination, Hirtz demande aux participant.e.s de se mettre en contact tactile avec l’objet : quels gestes font-iels ? peuvent-iels faire ? Des gestes on passe à la sollicitation du corps entier, invité à bouger avec l’objet, à inventer des déplacements et manipulations qui ne correspondent pas aux usages. Cet exercice d’imagination corporelle et chorégraphique amène chacun.e à se mouvoir dans son intérieur de manière inédite, et à découvrir le cas échéant des configurations d’objets, des polarités, des potentialités. L’objet et le lieu sont ainsi sources d’énergie et d’inspiration. Les participant.e.s peuvent clore la séance individuelle par un exercice d’écriture libre, qui ne sera pas communiqué aux autres.
Les actes d’imagination permettent, par l’intermédiaire d’un objet, de développer une conscience aigüe de la complexité des circuits de vie et de production contemporains. J’ai pourtant choisi un vase en bois, qui n’est pas passé par un processus de fabrication manufacturière très long ni très compliqué ; mais je ne sais de quel bois il s’agit, où il a été prélevé, quelle entreprise l’a conçu et réalisé, ni où il a été vendu – il m’a été offert. Les autres participant.e.s ne sont sans doute pas davantage capables de retracer l’itinéraire de leur objet, du moins pas de manière précise, ni de nommer les acteurs impliqués. La réflexion très simple à laquelle on est invité fait percevoir l’abstraction de notre monde, la déconnection entre ses agents, la complexité des circuits de production et de commercialisation qui contribue à faire de l’objet une entité abstraite, principalement investie de sens par l’acheteur et par les relations qu’il va tisser avec elle. L’atelier nous confronte ce faisant à ce que Jean-Luc Nancy et Aurélien Barrau (2011) appellent la struction : l’agencement de notre monde en une somme de matières et de réseaux dans lesquels nous sommes pris et qui se sont développés sur le mode de la dissémination et de l’adjonction, produisant parfois des dynamiques contradictoires, mais foncièrement impossibles à saisir dans leur globalité. Par opposition à notre intrication dans les réseaux immenses et indéfinis de la mondialisation, l’atelier de terrestrialisation contribue à nous reterritorialiser, d’autant que la partie chorégraphique montre l’importance, au moins potentielle, de chaque objet et sa capacité à transformer notre attitude et notre espace de vie : bien que je connaisse quelques moments de perplexité, je développe des nouvelles manipulations et danses avec le vase, aussi ludiques qu’elles semblent infinies.
On pourrait émettre l’hypothèse que l’objet choisi renvoie peut-être à des modes d’existence singuliers, distincts de ceux d’autres personnes. La jeune femme avec laquelle je suis invitée à m’entretenir en binôme après les exercices individuels a opté pour une petite Game Boy telle qu’on les vendait au début des années 2000. Elle a été socialisée très différemment de moi, qui suis plus âgée et que les parents ont tenu à l’écart des appareils technologiques. L’échange permet de prendre conscience des variétés d’objets étudiés, et de relations impliquées. En effet, mon interlocutrice a eu beaucoup de mal à inventer des interactions surprenantes avec sa Game Boy. On s’aperçoit qu’un tel produit a été conçu pour notre usage, ce qui s’accompagne d’effets de rétroaction : le petit appareil va de pair des affordances3, il suggère immédiatement des utilisations et des fonctions. Il est peut-être plus difficile alors d’engager sa subjectivité corporelle, et de reconfigurer les relations. Voilà qui fait écho à l’analyse des dispositifs contemporains selon le philosophe Giorgio Agamben. Celui-ci décrit tous nos objets jusqu’aux plus quotidiens comme des dispositifs, qui nous subjectivent et qui constituent également des formes d’assujettissement, voire de conditionnement (Agamben, 2006). L’échange avec ma partenaire, effectué dans une salle zoom inaccessible aux autres et donc dans de bonnes conditions de confiance et d’intimité, est ainsi susceptible d’être très instructif, complémentant l’expérience de chaque participant.e et mettant en relief certaines conclusions. L’atelier permet in fine de passer par l’épreuve de nos limites, tant de représentation des objets et des réseaux, que de réinvention, tout en transmettant potentiellement la joie éprouvée durant la danse. Il invite à réimaginer les modalités de contact avec « nos » agents, et quels autres agents il est opportun ou non de considérer. S’il peut préluder à un tri et à une réinvention à l’échelle individuelle, il ne met pas cependant en capacité de répondre aux défis de reconfiguration de la mondialisation. Pour opposer une action plus systémique à la struction, des activités esthétiques plus collectives et complexes seraient sans doute à privilégier.
Ateliers Où atterir à Sevran ? par S-Composition
Bruno Latour a lui-même tenté de mettre en place des ateliers collectifs qui iraient dans le sens d’un devenir terrestre plus profond. En collaboration avec des artistes, il a impulsé les ateliers Où atterrir au théâtre de la Poudrerie à Sevran. Après son intervention lors de la Biennale des arts participatifs de 2020 organisé par le théâtre, des ateliers bi-mensuels ont été mis en place, menés par la compagnie S-Composition avec Chloé et Chantal Latour, Jean-Pierre Seyvos, tous trois membres du consortium Où atterrir, en collaboration avec des habitant.e.s de Sevran. Cette étude s’appuie sur la participation de Nathan Vaurie aux ateliers et à la mise en scène de l’atelier-spectacle du 15 octobre 2022.
Des ateliers au spectacle
Les participant.e.s se retrouvent d’abord pour un temps d’échauffement consistant en pratiques écosomatiques4 : ces exercices corporels favorisent la concentration sur l’instant présent, sur le corps, et le resituent dans l’espace. Suivent des écoutes de groupes. Le troisième temps est celui de l’exploration des territoires de vie ou des restitutions d’enquêtes. S-Composition propose aux habitant.e.s de faire des expériences sonores permettant de figurer métaphoriquement des processus complexes liés au fonctionnement de la zone critique5, d’enquêter sur leur terrain de vie soit pour se rendre compte de l’important nombre de non-humains auxquels iels se relationnent ou desquels iels dépendent au quotidien, et enfin de créer la « boussole de leur concernement ». Chloé Latour et Jean-Pierre Seyvos présentent le concernement comme un problème qui touche directement la personne, et qui embête comme « un caillou dans la chaussure »6. A Sevran il y a par exemple : la disparition de la jacinthe des bois, celle des abeilles, les politiques liées à l’eau dans la communauté d’agglomération, le déplacement et les transports, la construction d’une antenne en haut de l’immeuble, la bétonisation de la plaine Montceleux, dernier champ de la ville … La constitution de la boussole consiste en la découverte des agents humains ou non-humains dont dépend le problème analysé, pour dessiner le paysage politique quotidien des participant.e.s. Ces agents sont ensuite répartis sur la boussole : en son centre figure le concernement, par lequel passent deux axes. Le premier axe vertical représente le temps (de l’héritage au futur), le second va du plus positif (à droite) au négatif (à gauche). L’habitante qui enquête sur l’eau a pu mieux comprendre et faire comprendre les institutions et les lois qui régissent la distribution de l’eau ainsi que les problèmes que cela impliquait en termes de pollution et de bien commun ; elle a par exemple identifié le Syndicat des eaux d’Ile de France comme menace (à gauche au présent). L’habitant.e se fait ainsi expert.e d’un sujet qui le.la concerne sur son territoire, et réussit à se réapproprier des mécanismes institutionnels jusque-là opaques. Iel met à jour des dysfonctionnement systémiques très souvent liés à des décisions politiques : même dans le cas où ce sont des bailleurs privés qui sont identifiés, les participant.e.s découvrent des lois ou des conflits d'intérêts issus de représentants de l’Etat ou d’organismes dépendants de l’Etat. Iels révèlent des dysfonctionnements de l’« Etat-Capital »7. D'un autre côté, ces enquêtes mettent aussi à jour des acteur.ices qui vont permettre d’améliorer la situation (tel.le.s la nouvelle paysannerie, Cycle Terre usine de briques en terre crue sevranaise, le nouveau Lycée agricole, ou la Moret, un cours d’eau sevranais).
Les ateliers Où atterrir ? ont été représentés pendant la biennale 2022 des arts participatifs organisés par le Théâtre de la Poudrerie, lors d’un « atelier-spectacle » dans la salle des fêtes de Sevran le 15 octobre. La pièce était entièrement utilisée, des chaises étaient disposées en îlots dans toute la salle, parfois sur des estrades, en différents groupes, et au centre se situait une boussole dessinée au sol destinée à recueillir l’expression des concernements et de leurs réseaux de dépendances. Trois grands écrans disposés de part et d’autre de la salle diffusaient des projections. Le spectacle était ponctué de pièces musicales composées par Jean-Pierre Seyvos, qui tentent de mettre en sons certains systèmes inhérents à la zone critique (par exemple Wetness pour le cycle de l’eau). Le public était prévenu avant d’entrer qu’il allait participer à un atelier et il lui était fourni un livret d’enquête et un stylo. En entrant dans la salle, les 150 participant.e.s secondaires rencontraient les participant.e.s primaires8, posté.e.s à des places définies pour décrire leur territoire de vie, les non-humains qu’iels côtoient au quotidien ou dont iels sont dépendant.e.s. Puis les spectateur.ices suivaient le format d’un atelier: échauffement, description des terrains de vie, formulation d’un concernement. L’atelier était ponctué d’interventions des participant.e.s primaires qui partageaient le résultat de leurs enquêtes de manières artistiques (travail en choralité, nuages de mots projetés sur les écrans, monologues croisés). Il est intéressant d’observer que le processus de création est représenté, ce qui met d’autant plus en valeur la nature processuelle de la création participative9. Le temps de la représentation revêt donc deux fonctions : la mise en valeur du processus de création participative par le rejeu, et sa transmission10.
L’espace des ateliers et de la représentation pourrait cependant paraître problématique. Fait est qu’ils se déroulent dans une « boîte noire », une salle de spectacle contemporaine plongée dans le noir et aux lumières artificielles. Si la présence des non-humains, et la réinscription de l’être humain dans les cycles des mondes qu’on habite sont particulièrement présentes dans les ateliers Où atterrir?, la déconnexion à ceux-ci est criante. L’état d’interdépendance entre les vivants mis en avant dans l'œuvre de Latour (2015) avec la théorie Gaïa semble, dans la représentation qui en est faite, être une expérience mentale ou intellectuelle et échapper à la dimension du vécu. Dans les retours qui ont été faits au Théâtre de la Poudrerie sur cette performance, on note le fait qu’une grande partie du public était parisien et non pas sevranais alors que les Sevranais étaient les premier.ère.s concerné.e.s. Les théories en humanités environnementales mettent en exergue le fait de rendre leur agentivité ou puissance d’agir aux non-humains (voir par exemple Balaud et Chopot, 2021, ou Morizot, 2020), de les faire passer de décor à agents ; ici on observe une limite quant à cette considération. Cependant, le fait de formuler les relations que les participant.e.s tissent avec des non-humains qui leur sont chers est déjà une étape, en effet la reconsidération des liens (affectifs) en place fait partie du processus de reconnaissance des puissances d’agir, puisque les participant.e.s reconnaissent le fait d’être littéralement « affecté.e.s » par les non-humains. L'absence physique des non-humains dans les ateliers est aussi révélatrice de l'absence ou de l'éloignement des moyens de subsistance à la fois des villes de banlieues (paradoxalement anciens greniers de Paris) et de la pratique artistique. Cela est corrélatif de la mise en cause de l'écologie politique, pointant son absence des quartiers populaires et l'ambiguïté de sa position sociale.
Construction d’une communauté terrestre ?
Un des buts du consortium Où atterrir ? est de commencer à créer par la participation à ces ateliers une communauté de citoyen.ne.s terrestres qui redéfinirait le paysage politique. La pratique de ces ateliers activerait un réseau de terrestres dans toute la France capable de s’entraider dans la formulation de nouvelles problématiques et le partage d’informations relatives aux moyens de subsistance.
Mais cette ambition se heurte à deux interrogations. D’une part, se pose la question du passage de l’information à l’action politiques. En effet le reproche souvent formulé par les militants écologistes à Bruno Latour s’étend à ces ateliers qui reprennent sa pensée : après avoir décrit des faits, se pose la question de la mise en action. Le concernement de E. était au départ celui des expulsions de migrants ; après une longue période d’étude et de réflexion, E. a porté son attention sur les Centres de Rétention Administrative (CRA), un établissement dont nombre de participant.e.s ignoraient l’existence mais qui consiste à garder enfermées des personnes migrantes en situation irrégulière le temps de la régularisation (ou non) de leur situation. Grâce au réseau terrestre, à l’aspect officiel de son enquête, aux outils apportés par S-Composition, elle a pu effectuer de nombreux entretiens et faire le portrait de la situation en CRA. A la fin des ateliers, elle a donné le fruit de son travail extrêmement poussé et concret à des associations pour lesquelles elle est maintenant bénévole, et qui luttent pour la fermeture des CRA. Il y a donc un mouvement qui se dessine et qui tend à faire penser que ce processus peut ouvrir à l’action.
Cependant, en un an, peu de personnes sont passées à l’action pour défendre ce à quoi elles tenaient. L’atelier n’accueille pas non plus de débats, il repose sur des descriptions factuelles ou une expérimentation sensible. Et alors que l’un voit une solution intéressante dans la densification des habitations près des gares pour empêcher la bétonisation d’espaces pas encore recouverts, l’autre pointe la dégradation des conditions de vie liées à cette même densification : un débat stratégique pourrait être mené et conduire à des solutions. Mais les ateliers en restent à des descriptions et ne mettent pas en place « l’agone »11:
L’agone désigne le processus conflictuel permettant aux habitants d’instituer les scènes agonistiques où ils pourront se ressaisir de leur lieu de vie, en mettant en scène les conflits d’usage et les conflits de mondes (les compositions relationnelles) qui les sous-tendent. (Gosselin et Bartoli, 2022, p. 155)
Les ateliers tendent à ouvrir des brèches depuis lesquelles peuvent se développer ces processus agonistiques. « [Ils] sont juste le début d['un] processus [comme celui des cahiers de doléance]» dit Latour pour expliquer les intentions du Consortium Où atterrir ?12 : l’idée est que le.la citoyen.ne se saisisse à nouveau des questions de territoires pour « redéfinir les conditions d’existence en situation de crise », « tirer des leçons et des procédures, peut-être même une méthodologie pour permettre à d’autres qui le souhaitent d’étendre et de faire proliférer cette méthode ».
L’autre grande question que pose le dispositif des ateliers Où atterrir et qui peut être liée à la première est la volonté de création de communautés. Les artistes qui mettent en place des performances participatives ont souvent été critiqué.e.s, par exemple par Zhong Mengual (2018, p. 243) :
être inclus dans la société signifie participer au jeu économique en tant que travailleur consommateur [...] la politique sociale ne réduit pas les inégalités mais met en place les conditions de participation au jeu économique qui est condition de croissance.
De ce point de vue les performances participatives à vocation sociale seraient comme les institutions sociales les partenaires du néo-libéralisme ; elles contribueraient à la normalisation des citoyen.ne.s vers le parfait travailleur consommateur – surtout, peut-on ajouter, si elles ne mettent pas sur la voie de l’action. Commentant le débat entre Miwon Kwon et Kevin Kester sur le sujet des communautés dans les arts participatifs, Marie Preston prévient par ailleurs que « l’artiste collabore avec des agrégats hétérogènes dans l’attente paternaliste qu’il ou elle prenne le rôle de représentant et essaye de créer une conscience de communauté à partir des déchets sociaux atomisés du capitalisme tardif13 ». Dans la pratique, les ateliers Où atterrir ? transmettent cependant des savoirs faire aux citoyen.ne.s. Il y a une idée de passation et d’autonomisation, d’empouvoirement de l’individu par sa pratique, ce qui n’a rien de « paternaliste »:
Ces dispositifs participatifs amènent les personnes à déplacer leur comportement en même temps que leur pensée du comportement. Ils exploitent la force collective mais pourraient se déployer indépendamment de tout ancrage dans un groupe. (Beaufils, 2019, p. 136-145)
L’idée pour les artistes de S-Composition n’est pas réellement de « faire une communauté », mais plutôt d’armer le.la citoyen.ne avec des notions et des procédés qui le.la mettent sur la voie du devenir terrestre de son propre chef. Une fois les citoyen.ne.s devenu.e.s terrestres par leur propre réalisation, la communauté terrestre apparaîtra d'elle-même. L’art peut donc aider à la création d’une sensibilité (Zhong Mengual et Morizot, 2018, p. 87-96) et mettre en place des pratiques communes (et donc des savoirs) qui permettraient l’émergence d’un devenir terrestre.
ZOÖP - l'institutionnalisation du devenir terrestre
Le troisième projet analysé s’implante également de manière très locale, mais au lieu de sortir les habitant.e.s des espaces sociaux structurés pour les inviter à penser-agir à partir du cadre sans bords de l’art, il invite les membres d’institutions, quelles qu’elles soient, à opérer une révolution de l’intérieur14. Il travaille donc avec des communautés constituées et pose immédiatement la question du passage à l’action. Tout membre peut enquêter sur les réseaux terrestres de l’institution et inviter cette dernière à se transformer en ZOÖP visant à constituer une communauté au service du vivant. Si l’initiateur du concept Klaas Kuitenbrouwer est davantage inspiré par les ouvrages antérieurs à Où atterrir, la place de la pensée latourienne n’en est pas moins pour lui « d’une importance vitale »15 ; il souligne en particulier la nécessité de concevoir toute chose comme un agent ou une agrégation d’agents, qui fait l’objet de rassemblements, de discussions et d’un concernement (ici au sens où ils deviennent des matters of concern), ainsi que la nécessité de collaborer avec tous les corps (biotiques ou non) en présence, afin de devenir terrestre et de contribuer à la vie16. D’ailleurs l’appellation ZOÖP est la contraction des deux principes actifs séminaux, zoe et coopération. Pour rendre compte de ce projet, on prendra le parti de suivre les trois étapes grâce auxquelles il est appelé à s’implanter dans un nombre croissant d’établissements, après son lancement en 2022 à l’institut d’art et de design Het Nieuwe Instituut de Rotterdam, qui constituera également « une maison mère » conseillant et soutenant les suivantes.
L’atelier d’initiation active
Le 10 décembre 2022 a eu lieu un atelier mené par Klaas Kuitenbrouwer à la Temporary Gallery de Cologne. Constituant une sorte d’examen collaboratif de la galerie, préalable à sa transformation en ZOÖP, il s’articule en cinq étapes : un exposé théorique permet d’abord de présenter l’ensemble du projet, les notions qui le guident (terrestre, entrelacements sans fin du vivant et des autres corps, zoönomie ou nécessité de revenir à une « économie de la nature »17 fondée sur le respect et l’épanouissement du vivant) et le fonctionnement de l’institut à Rotterdam. Puis un premier exercice, majeur, est proposé aux participant.e.s réparti.e.s en trois groupes : iels sont invité.e.s à dresser la liste de tous les autres corps impliqués dans l’existence de la galerie. Ces corps sont d’abord ceux des vivants, sans lesquels aucune économie ne saurait subsister : humains, plantes d’intérieur, mais aussi insectes, lichens ou champignons. On prend également en compte les corps non animés : des murs aux différents sols, en passant par le mobilier, les prises, canalisations, ou œuvres d’art. Un troisième groupe liste les corps institutionnels dont dépend la galerie : municipalité, fondations, organe fédéral, associations d’habitant.e.s, ami.e.s de la galerie. Une fois passée cette phase cruciale « d’identification », on passe à la phase de « caractérisation » en posant des questions qui rappellent les interrogations latouriennes : comment les corps se rapportent-ils l'un à l'autre ? Sont-ils indifférents, leurs actions s’opposent-elles ou se conjuguent-elles pour le vivant ? Comment faire pour que ces deux corps se soutiennent l'un l'autre ? A la suite de cette exploration du terrain de vie de la galerie, ainsi plus à même de devenir terrestre, les participant.e.s sortent à l’extérieur pour effectuer des exercices d’attention développant leur perception du milieu afférent à la galerie : course dans les rues avoisinantes, situation en un point de vie aléatoire (sur la chaussée, un banc, un terrain vague), focalisations de plus en plus ciblées sur un espace puis un objet puis un détail de cet objet. Comme dans les ateliers Où atterrir, il s’agit de pratiques écosomatiques qui décalent et libèrent la perception, en général informée par les habitus et orientée vers une activité à accomplir. De retour à la galerie, les participant.e.s sont convié.e.s à envisager de nouveaux modes de relation qui privilégient l’épanouissement du vivant dans l’institution. Les propositions peuvent être visionnaires et comprendre une part de fiction. Ainsi celle qui retient l’attention du groupe fait jaillir quantité d’idées : il est proposé de végétaliser le toit, lequel consiste en une épaisse plaque de béton dotée d’une splendide portance, et qui pourrait alors représenter une extension de la galerie en accueillant des œuvres d’art ou des performances, sans oublier le développement de moments de convivialité chers à l’établissement, grâce à des plantations permaculturelles et des repas ou fêtes estivaux18. Enfin, lors d’une dernière étape, les participant.e.s sont invité.e.s à « atterrir dans le pragmatisme », en réfléchissant aux modalités et à leur désir de mise en place de la ZOÖP.
Indépendamment de la transformation future ou non de la galerie en ZOÖP, un tel atelier met les participant.e.s sur la voie du devenir terrestre. Il est en outre libérateur d’imaginaires et de désirs, car il profite à nouveau de l’espace de l’art comme cadre éphémère, émancipé des contraintes de réalisation immédiate. Des moments de création collective similaires ont donné lieu à la ZOÖP de Rotterdam depuis 2018, qui ne représente plus un projet esthétique, mais qui continue à reposer sur des méthodes de recherche artistiques ou inspirées de l’art.
Designer une zoönomie
Le fonctionnement d’une ZOÖP suit les principes du design participatif : c’est un processus de conception (ici d’un milieu de vie), mené à plusieurs, qui ne connaît pas d’aboutissement (idéal) mais qui s’épanouit et doit surtout être sauvegardé en lui-même, à l’instar des écosystèmes. Une fois que les membres d’une institution se sont déclarés prêts à soutenir le processus, un.e porte-parole (a speaker) se propose, son choix est avalisé par la fondation qui soutient toutes les ZOÖP et iel a dorénavant des droits et des devoirs : devoir de faire un compte-rendu annuel de l’état des corps dont dépend l’existence de l’institution (à l’instar du travail effectué au cours de l’atelier en galerie) ; devoir de proposer des mesures visant à améliorer les coopérations entre les corps et à servir l’épanouissement de la vie ; droit à assister en auditeur.rice libre aux séances de l’organe décisionnel et à négocier avec lui ; droit enfin à recevoir une rétribution pour son travail, délivrée par la fondation en tant que méta-organisme indépendant des intérêts particuliers de chaque institution.
Le.la porte-parole s’appuie sur le dialogue et les échanges avec des membres experts de tel domaine ou telle activité de l’institution. Un comité peut l’assister et se réunir plusieurs fois par an, c’est ce qu’a décidé d’organiser l’artiste-jardinière du Het Nieuwe Instituut qui est la speaker 2022-2023. Le « bilan terrestre » sert de la sorte des intérêts très réels et pragmatiques, tout en amenant les membres de l’institution à renouveler leur perception de ces intérêts et de leurs interdépendances quotidiennes, structurelles et souvent bien ignorées. Parmi les aménagements opérés, on peut mentionner un tiers jardin, un grand bac à compost, la déperméabilisation du parking goudronné, désormais de surface réduite, et converti en parking sur sol vitalisé, où les voitures stationnent sur des pavés enfoncés dans la terre. L’étang va être entouré d’herbes plus accueillantes pour la faune, et l’eau agrémentée d’algues et de plantes plus riches en nutriments pour les poissons. Dans le futur, le toit sera également végétalisé et servira de support à des panneaux solaires.
Ainsi on observe le passage d’un mode d’institution (dominant) à un autre, proche du passage de ce que Gosselin et Bartoli appellent une institution-cadre vers une institution-métis: l’« institution-cadre [est] étatique[], faite[] de règles et de déterminations logiques générales et surcodées » tandis que l’« institution-métis se caractérise par sa souplesse, sa dynamique, sa localité et son hétérogénéité [...] (située, autonome et vernaculaire) » (Gosselin, Bartoli, 2022, p. 309-310)19.
Bien que le résultat des premières enquêtes et actions terrestres soient très prometteurs, l’institut de Rotterdam continue à promouvoir des recherches-créations menées par des artistes ou des designeurs pour améliorer la capacité de diagnostic et d’intervention des ZOÖP dans le futur.
Ainsi l’artiste Debra Solomon développe une méthodologie d’observation radicale20, et pratique avec les personnes intéressées des exercices propices au décèlement des rapports entre les corps et à leur amélioration. Un appareil-gardien de la biodiversité, nommé DeepSteward, a été élaboré par Ian Ingram and Theun Karelse, et sonde les formes de vie en se soustrayant au point de vue humain, tandis que Rick Perillo a décliné une panoplie d’outils permaculturels susceptibles d’être développés dans les ZOÖP, comprenant des idées de plantations aussi bien que de monnaie locale et d’urbanisme. Selon Kuitenbrouwer, il est essentiel que le projet continue à s’appuyer sur des recherches artistiques, car les artistes sont les plus « capables de faire converger des savoirs, de travailler avec l’ambigüité, de produire des résultats imprévus ou d’y réagir, et de se laisser mener par des objectifs mouvants ou pluriels »21.
La réinvention de communs et de légalités
Au-delà de chaque institution, le projet ambitionne d’inventer un cadre légal en faveur de l’expansion du terrestre dans les ZOÖP. Tout cadre légal relève d’abord d’une fiction, ainsi que le rappelle l’écrivain et juriste Camille de Toledo22. Il est néanmoins stratégique de faire passer l’invention d’une légalité dans l’entendement commun, en l’espèce de la juridiction commune. Si Kuitenbrouwer a renoncé à un concept global tel le parlement latourien, il a élaboré un modèle contractuel d’engagement d’une ZOÖP. Chaque institution s’engage par contrat à développer une zoönomie et à suivre les deux règles principales : favoriser le travail du.de la porte-parole et la remise du rapport annuel d’une part ; promouvoir le dialogue avec les instances décisionnelles et l’amélioration des conditions de vie interspécifiques chaque année en réalisant certaines des mesures négociées. Si ces principes ne sont pas respectés, l’institution perd le statut de ZOÖP. L’engagement de celle-ci est en premier lieu éthique, mais si elle choisit de publiciser cet engagement, le renoncement au statut ne manquerait pas d’occasionner des retombées déplaisantes sur sa réputation.
Une étape supplémentaire a par ailleurs été franchie en mars 2023 lorsque l'Office de l'Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) a accepté le principe d’un certificat Zoöp ouvert à de tierces parties. Ce certificat a été extrêmement délicat à élaborer23, car il se soustrait au langage en vigueur de ces documents, qui s’appuient en général sur des objectifs précisément quantifiés et nommés – langage à rebours du développement processuel de vivants interreliés suivant des modes pluriels, et des évolutions non déterminables par avance. Une contribution annuelle à la fondation a été fixée par ailleurs, qui servira au paiement des porte-paroles et de la plateforme de ressources communes, de même que les statuts de ladite fondation supervisant toutes les personnes légales devenues ZOÖP.
Ainsi le projet est susceptible de donner naissance non seulement à un réseau d’établissements néerlandais mais européen, véritable laboratoire de nouveaux communs institutionnels, par ailleurs en échange les uns avec les autres et aptes à s’enrichir réciproquement. Si ce réseau est amené à s’inscrire à l’intérieur des paysages (culturels, juridiques, vivants) nationaux, il sera peut-être en mesure de contribuer à la prise en compte du vivant dans les législations nationales, comme cela a pu être le cas déjà en Nouvelle-Zélande et d’autres pays. A l’inverse de la Nouvelle-Zélande ou de pays d’Amérique du Sud, note Kuitenbrouwer, il est difficile aux populations occidentales de s’appuyer sur une cosmogonie reposant sur des ontologies plates où n’existe aucun rapport d’antériorité ni de hiérarchie. Les pays occidentaux, notamment les Pays-Bas érigés sur des machines à pomper l’eau, se sont selon lui trop formés sur des bases anthropocentrées – on note que la patrie des droits de l’homme n’est pas en reste de ce point de vue. Les droits des organismes ne peuvent donc se fonder sur une vision de la vie qui favorise une telle ontologie, raison pour laquelle le designer a jugé bon de mettre l’accent sur le développement de nouvelles relationnalités, sur la base du devenir terrestre. La question se pose bien entendu de savoir si et dans quelle mesure de telles attitudes relationnelles se développeront, dans le cadre des ZOÖP et en dehors d’elles.
Ainsi ce projet élabore des prolongements multiples, tant artistiques, institutionnels que juridiques, aux enquêtes et échanges imaginés par Bruno Latour pour devenir terrestre, et peut être conçu comme laboratoire participatif d’une réforme d’envergure à venir, de nos communautés de travail et peut-être du droit européen.
Les trois projets esthétiques étudiés tentent de répondre à la nécessité de devenir terrestre par la combinaison de différents « faire » qui sont autant des actes que des prolégomènes à de possibles actions futures : l’enquête, l’imagination et l’expérience incarnée. Ils répondent tout d’abord au vœu d’enquête latourien, qui cependant, du fait de son caractère inachevable et des multiples entrelacements auquel il confronte, ou plutôt, dans lesquels il « plonge », doit être relayé par l’imagination. La mise en commun des enquêtes plus individuelles contribue notablement à nourrir l’imagination et le concernement, ici entendu en son double sens de problème et de souci (subjectif). De ce fait, les ateliers collectifs répondent aussi à l’appel de multiples autres penseur.se.s de l’Anthropocène, telles Haraway ou de Stengers, résumé par Michael Haldrup : « nous avons besoin d’histoires, d’affects et de pratiques qui connectent les humains avec le monde naturel et les autres espèces, plutôt qu’ils ne les en séparent. Et de ce fait, d’actes qui rendent capable d’imaginer les communs urbains en tant que communs interspécifiques »24. Last but not least, la dimension ancrée des problèmes, et surtout l’expérience incarnée contribuent à la subjectivation des participant.e.s. Elle l’est peut-être particulièrement dans les premier et troisième projets où les participant.e.s sont appelé.e.s à se saisir hic et nunc de leur imagination et à la développer de manière pratique, pro-active, fût-elle dansée ou très pragmatique (aménagement d’étang), la ZOÖP conviant par surcroît à une élaboration collective. Dans tous les cas, l’écologie environnementale est également vécue comme écologie relationnelle et sociale, elle peut être transmise comme récit et comme expérience aux autres humains, voire non-humains, de plus en plus vécus comme pairs. Du moins – et parce que cette contribution fait suite à un colloque qui a permis de rassembler pour la première fois à l’échelle nationale de très nombreux chercheur.e.s également intéressé.e.s par les prolongements pédagogiques qui peuvent être donnés en cette période de crise sans précédent – les auteur.ice.s de cette contribution ont bon espoir que ces démarches ont une qualité pédagogique. De ce point de vue, les pratiques artistiques ont toutes indéniablement une portée politique.
Bibliographie
Agamben, G. (2006). Qu’est-ce qu’un dispositif. Paris : Payot&Rivages.
Balaud, L., et Chopot, A. (2021). Nous ne sommes pas seuls. Paris : Edition du Seuil, Coll. Anthropocène.
Bardet, M., Clavel, J., et Ginot, I. (2019). Ecosomatiques. Penser l’écologie depuis le geste. Montpellier : Seconde époque.
Barrau, A., Nancy, J.-L. (2011). Dans quels mondes vivons-nous ? Paris : Galilée.
Beaufils, E. (2019). L’art participatif peut-il enfanter le citoyen-à-venir ? Nectart, vol. 9, n° 2, 136-145.
Deneault, A. (2019). L’économie de la nature. Paris : Lux éditeurs.
Foucault, M. (2015). Qu’est-ce que la critique ? Paris : Vrin.
Gibson, J.G. (1979). The Ecological Approach to Visual Perception. Boston : Houghton Mifflin.
Gosselin, S., Bartoli, D. G. (2022). La condition terrestre. Paris : Seuil.
Haldrup, M., Samson, K., et Laurien, Th. (2022). Participatory design with more than human. PDC '22: Proceedings of the Participatory Design Conference 2022, Volume 2, 14–19. https://dl.acm.org/doi/10.1145/3537797.3537801.
Latour, B. (2017). Où atterrir. Comment s’orienter en politique. Paris : La Découverte.
Latour, B. (2021). Où suis-je. Leçons du confinement à l’usage des terrestres. Paris : Les Empêcheurs de tourner en rond.
Latour, B. (2015). Face à Gaïa, huit conférences sur le nouveau régime climatique. Paris : La Découverte.
Preston, M. (2018). From community based-art to the art of co-création. In : Beaufils, E., Holling, E. (dir.), Being-With in contemporary Performing Arts. Berlin, Neofelis Verlag, 223-238.
Morizot, B. (2020). Raviver les braises du vivant. Arles : Wildproject/Actes Sud.
Scott, J. C. (2021) (trad. de l’anglais par O. Ruchet). L’Oeil de l’Etat, Moderniser, uniformiser, détruire. Paris : La Découverte.
Zhong Mengual, E. (2018) (préface de B. Latour). L'art en commun : réinventer les formes du collectif en contexte démocratique. Dijon : Les presses du réel.
Zhong Mengual, E., Morizot, B. (2018). L’illisibilité du paysage. Enquête sur la crise écologique comme crise de la sensibilité. Nouvelle revue d’esthétique, vol. 22, no. 2, 87-96.
Sitographie :
http://www.bruno-latour.fr/sites/default/files/89-CRITICAL-INQUIRY-GB.pdf
« A movement-based experiment », voir https://zkm.de/de/fuehrung-workshop/2021/08/how-to-be-terrestrial.
https://vimeo.com/388956308?embedded=true&source=vimeo_logo&owner=84846220
https://research-development.hetnieuweinstituut.nl/en/research-projects/zoop?_gl=1*1bht13v*_ga*Njk0OTQ4NzIuMTY3Mzk0MDcwNg..*_ga_V5S51RQF7T*MTY3NDE0MDk5MC4zLjAuMTY3NDE0MDk5MC4wLjAuMA..
https://whoiswe.hetnieuweinstituut.nl/en/research/radical-observation-exercise
1 http://www.bruno-latour.fr/sites/default/files/89-CRITICAL-INQUIRY-GB.pdf
2 « A movement-based experiment », voir https://zkm.de/de/fuehrung-workshop/2021/08/how-to-be-terrestrial.
3 Ce concept a été développé en premier lieu par J.G. Gibson dans son premier texte The Theory of Affordances (1977), approfondi dans The Ecological Approach to Visual Perception, Boston, Houghton Mifflin, 1979.
4 La racine soma renvoie au corps. L’adjectif « écosomatique » vient des pratiques analysées dans l’ouvrage dirigé par Marie Bardet, Joanne Clavel et Isabelle Ginot, Ecosomatiques. Penser l’écologie depuis le geste, Montpellier, Seconde époque, 2019.
5 La zone critique est l'environnement terrestre qui s'étend de l'atmosphère, jusqu'aux roches non altérées. Ses composants, souvent étudiés par des disciplines différentes, sont tous interconnectés et liés par des transformations à des échelles de temps différentes et emboîtées (boucles de rétroactions). Elle abrite presque toute la vie continentale, dont l'humanité, et est la zone clé dans le maintien de l’habitabilité de la Terre.
6 Expression qu’utilisent Chloé Latour et Jean-Pierre Seyvos pour vulgariser l’idée de concernement.
7 « L’Etat et le capitalisme se sont distribués l’exercice de ce pouvoir [capture sans précédent des forces terrestres] délégant à l’un la prise en charge de l’esprit (les valeurs, l’autorité politique, les institutions représentatives censées porter la voix du peuple, les opinions des individus qui la composent) pendant que l’autre s’occupe de l’administration des corps (de leur mise au travail). » (Gosselin et Bartoli, 2022, p. 19)
8 Est ici fait la distinction entre les participant.e.s primaires, soit celleux qui ont suivi les ateliers toute l’année et les participant.e.s secondaires qui ne participent qu’à la représentation du 15 Octobre.
9 Le fait que les performances collaboratives constituent un processus ouvert, représente leur principale qualité selon Estelle Zhong Mengual, L'art en commun : réinventer les formes du collectif en contexte démocratique ; préface de Bruno Latour, Dijon, Les presses du réel, 2018.
10 Notons que le savoir transmis par l’expérience vécue est situé dans l’espace et le temps, donc en partie non normalisable. Cet aspect lié à la non-reproductibilité des œuvres participatives les amène à échapper aux logiques de normalisation et de standardisation liées à l’Etat-Capital.
11 « En référence au concept grec de l’agôn, signifiant à la fois le débat et le combat » (Gosselin et Bartoli, 2022, p. 149).
12 https://vimeo.com/388956308?embedded=true&source=vimeo_logo&owner=84846220
13 Artist collaborates with inchoate aggregate in the paternalist expectation that the artist will take on the delegate’s role and attempt to literally create a community consciousness out of the atomized social detritus of late capitalism
(Preston, 2018).
14 Avec Sophie Gosselin et David Gé Bartoli, nous entendrons également par institution « la capacité à structurer un monde qui prééxiste et survit à chaque génération en forgeant des alliances permettant de réactiver et d’inscrire dans le temps les relations constitutives d’un peuple » (Gosselin et Bartoli, 2022, p. 309).
15 Cette partie s’appuie sur le site internet du projet, l’entretien mené avec Klaas Kuitenbrouwer le 17 janvier 2023 ainsi que sur l’atelier dispensé le 10 décembre 2022 à la Temporary Gallery à Cologne. Voir https://research-development.hetnieuweinstituut.nl/en/research-projects/zoop?_gl=1*1bht13v*_ga*Njk0OTQ4NzIuMTY3Mzk0MDcwNg..*_ga_V5S51RQF7T*MTY3NDE0MDk5MC4zLjAuMTY3NDE0MDk5MC4wLjAuMA..
16 Les autres auteurs qui l’ont inspiré se situent pour la plupart dans le prolongement de Latour, qu’il s’agisse de Brian Massumi ou de Tim Morton, ou en sont très proches (Isabelle Stengers).
17 Je reprends ici un terme francophone, développé par le philosophe Alain Deneault (2019).
18 D’autres propositions invitaient à occuper la place de parking et de l’entrée goudronnée par des bacs de plantes, à proposer des visites et jeux « terrestres » aux riverains, et à s’associer à d’autres projets artivistes de la ville.
19 Les auteurs s’appuient sur James C. Scott (2021).
20 https://whoiswe.hetnieuweinstituut.nl/en/research/radical-observation-exercise
21 Entretien mené le 17 janvier 2023.
22 Propos tenus lors d’une lecture du texte « Les témoins du futur » par son auteur Camille de Toledo, à la maison de la poésie à Paris, le 9 mai 2019.
23 L’institut de Rotterdam a bénéficié de l’aide de sociétés partenaires spécialisées dans le droit, De Brauw Blackstone Westbroek, Future Law, NLO et Pro Bono Connect.
24 We need stories, affections and practices that connect humans with the natural world and the other species, rather than separating them. Hence, to be able to imagine urban commons as a multispecies commons
, dans Haldrup, Samson et Laurien (2022, p. 14–19).