Introduction
Le paradigme productiviste en agriculture s’est largement appuyé sur des savoirs scientifiques produits notamment pour être « génériques, valides et applicables à de larges échelles et à une large gamme de situations » (Girard, 2014, p. 63). Les évolutions dans le pilotage des systèmes agricoles amènent à questionner ce modèle et à vouloir ne plus appliquer des savoirs de manière standard, « les principes de l’agro-écologie mettant l’accent sur les spécificités des conditions locales et sur la connaissance agronomique des agriculteurs pour apprécier et arbitrer la mise en œuvre de nouvelles pratiques » (Compagnone, Lamine et Dupré, 2018, p. 119). Or, la revalorisation des savoirs acquis par la pratique en situation réintroduit par là même l’opposition entre, notamment, des postures différenciant « appui sur des outils technologiques et appui sur la perception sensible » (Ibid., p. 125). A quels processus renvoie une perception sensible du milieu ? Qu’est-ce que le « sensible » ? En quoi interroge-t-il notre façon de mobiliser le corps et les sens dans la perception du monde ? Demande-t-il une (ré)éducation des sens ?
Ces questions font écho, sous différents aspects, aux recherches portées en humanités environnementales. Tout d’abord, la réflexion présentée ici se réfère au postulat qui affirme que les principes scientifico-techniques ne suffisent pas pour se saisir des enjeux environnementaux. Plus spécifiquement, il s’agit d’accompagner les acteurs vers une approche sensible, sensorielle, émotionnelle de l’environnement afin d’autoriser d’autres points de vue que les seules entrées rationnelles et quantifiables (Houdayer, 2020). Par ailleurs, la réflexion répond au souhait exprimé également en humanités environnementales d’une approche complexe pour aborder les enjeux environnementaux en transformant tout autant les épistémologies que les méthodologies dans l’étude des relations de l’humain avec l’environnement (Blanc et al., 2017).
C’est dans cette double dynamique que se situe le texte qui vise, lui-même, deux objectifs. D’une part, d’un point de vue épistémologique, il souhaite interroger une des traductions de l’ontologie naturaliste, à savoir la pertinence du dualisme corps/esprit pour appréhender le milieu. D’autre part, d’un point de vue méthodologique, il présente le croisement que nous estimons nécessaire entre l’anthropologie de l’environnement d’où est ancré le discours, et l’empirisme d’une pratique psycho-corporelle, pour développer une manière sensible d’être au monde. L’hypothèse posée ici est que le développement d’une approche sensible nécessite de (re)découvrir le caractère incarné et sensoriel des activités perceptives, ce qui consiste à s’inscrire dans un environnement particulier et à dépasser les dualismes corps/esprit et humain/nature en développant notamment une unité psychophysique avec la nature (Hess, 2016). Nous faisons également l’hypothèse que la (re)découverte des dimensions sensorielles passe par un apprentissage des sens, allant dans le sens des travaux étudiant les apprentissages sensoriels experts (Teil, 2019 ; Battesti & Candau, 2023).
Le texte présente tout d’abord ce qu’est le sensible dans le contexte de la transition agroécologique, ses liens avec la dimension incarnée, ainsi que les enjeux d’investir un corps « chair » au sens de Merleau-Ponty (1945, 1964). Nous expliciterons l’importance du développement de telles capacités dans la construction de connaissances spécifiques aux lieux, mais des exemples permettront de rendre saillant des difficultés à les développer. Dans un second temps, je présenterai la méthode que je développe, qui croise les questions académiques avec la sophrologie. Nous verrons comment je propose d’investir cette hybridation dans les objectifs présentés. Nous conclurons en précisant en quoi la méthode participe à dépasser le dualisme corps-esprit, à redécouvrir le milieu de manière sensible, et, plus spécifiquement, en quoi elle participe au développement de capacités perceptives.
Réinvestir un corps « chair » pour développer une approche sensible du milieu
Le corps, source d’expériences sensibles
Terme portant à confusion de par sa polysémie (Laplantine, 2005, p. 99), le « sensible » est souvent défini en creux par son opposition à la pensée cartésienne, au raisonnement objectif, à l’intelligible. Cette mise en opposition à l’intellect et à la raison abstraite est souvent disqualifiante (Ibid., p. 100). Le terme n’est d’ailleurs pas neutre puisqu’il porte en lui une connotation de « fragilité » ou de « vulnérabilité » lorsque l’on dit qu’une personne est « sensible » (Id.) ou que « sensible » est associé à « sensiblerie ».
Une des définitions du sensible le rapporte aux sens et désigne « la vie des sensations » (Laplantine, 2005). L’appréhension du monde n’est pas circonscrite à l’intellect mais implique le corps porteur d’expériences sensorielles mais aussi émotionnelles. En effet, l’ancrage corporel ouvre la voie aux affects, aux émotions qui sont intimement liées aux sens, comme le montrent les travaux précurseurs d’analyse du corps menés par Marcel Mauss : « C’est au sein de ces recherches sur le corps qu’apparaissent alors en filigrane des analyses sur les sens : corps et ressentis, corps et sensations, corps et émotions, corps et substances, corps et affects » (Gélard, 2016, pp. 91-92). Les sons, les odeurs, les goûts, les perceptions visuelles et tactiles sont reconsidérées ; les émotions, en tant qu’expériences psychophysiologiques, « retrouvent leur place dans la construction symbolique du réel » (Héritier & Xanthakou, 2004, p. 11). Sens, émotions et raison ne peuvent plus être dissociés et le corps échappe à toute réduction organique ou mécanique.
Les travaux anthropologiques remettant en question la dichotomie corps/esprit explorent l’incorporation[1] comme processus au « fondement existentiel de la culture et du soi[2] » (Csordas, 1994, p. 6), où il ne s’agit plus de distinguer corps et esprit dans la perception du monde. Ces travaux s’appuient notamment sur les approches phénoménologiques de Merleau-Ponty selon lesquelles le corps devient le foyer d’une expérience intime et subjective, qui détermine chaque vécu tout en incarnant sa conscience. Au-delà de réfléchir au non dualisme corps-esprit, Merleau-Ponty envisage également la compréhension du monde à partir du corps : la cognition n’est plus réduite à un traitement symbolique de l’information, mais est issue d’une porosité entre cerveau, corps et environnement. La relation au monde est issue d’un « corps existant » qui « éprouve le monde et s'expose à lui à travers ce qu'il est et ce qu'il fait » (Hess, 2016, p. 164) : alors, le corps devient « chair » qui « exprime une unité – unité de l'homme avec la nature, unité de la conscience avec le corps » (Ibid., p. 157). Le corps percevant le monde est aussi perçu par lui, ce qui amène à découvrir le monde dans son altérité. Il y a prise de conscience, tout à la fois, de son corps dans le monde et du monde. Développer une approche sensible s’appuie sur un corps merleau-pontyen, un corps chair qui fait partie du monde.
Il ne s’agit pas, comme le précise François Laplantine, de revaloriser le corps au détriment de l’esprit, ou l’émotion au détriment de la raison, puisque l’on se maintiendrait alors dans un rapport dual au monde. Opposer sensible et intelligible renvoie aux dualismes structurels de la société des Modernes qui ne nous font qu’osciller « entre le coup de force du rationalisme et les platitudes de l’empirisme » (Laplantine, 2005, p. 100) et qui sont désormais déconstruits dans le contexte du tournant ontologique. Il s’agit plutôt de se situer dans l’entremêlement, l’indistinction des frontières, la création constante, « les passages, les transitions, les mouvements d’oscillation instables et éphémères » (Ibid., p. 104).
Un besoin d’apprendre le corps
La capacité à mobiliser son corps dans la perception du milieu reste fréquemment peu considérée. Un travail avec une formatrice du centre de formation du Merle spécialisé notamment dans l’élevage ovin transhumant, a permis de constater le déficit de l’usage des sens par les apprenants, comme peut en témoigner un stagiaire en conversion professionnelle originaire d’une grande ville. Il exprime, lors d’une sortie de découverte des milieux pastoraux, à la fois sa prise de conscience de la perte de capacité à utiliser ses sens et son besoin de les redécouvrir et d’accroître leur usage :
"Je m’aperçois que mes sens se sont émoussés. Quand vous me dites « regarde le paysage, les plantes ; sens ces odeurs ; entends le silence à peine troublé par le vent », je ne vois pas, je ne sens pas, je n’entends pas. Je suis dans une phase cotonneuse où mes perceptions sont faibles… Il faut que je réapprenne les sensations." (Moneyron et al., 2013, p.3).
Ces observations peuvent avoir lieu aussi chez les professionnels, comme j’ai pu l’observer lors d’un terrain ethnologique auprès de maraîchers. Ces derniers doivent apprendre à mobiliser leurs sens au fil de leur expérience pour compléter des connaissances technico-scientifiques (Javelle, 2021). Cela demande une posture volontaire d’attention, de temps passé dans les lieux pour les « apprendre » comme ils l’expriment. Or, d’une manière générale, cette posture ne va pas de soi dans une société encore marquée par le « je » de la méthodologie cartésienne qui pose la prééminence de l'âme sur un corps fournissant des informations illusoires dans l'appréhension du monde. Le corps reste encore souvent à la fois déprécié, réifié et, donc, escamoté du quotidien. Cette dévalorisation induit une sous-valorisation des sens, demandant alors une (ré)éducation.
L’usage des sens n’est pas universellement uniforme. Par exemple, Marie-Luce Gélard (2013a) souligne que la focalisation sur la perception visuelle faite dans la société occidentale amène à négliger les expressions d’autres sens. Les caractéristiques culturelles s’entrecroisent avec les spécificités individuelles : « [u]ne culture […] dessine un univers sensoriel particulier particularisé, bien entendu, par les appartenances de classe, de groupe, de génération, de sexe, et surtout l’histoire personnelle de chaque individu » (Le Breton, 2007, p. 46). Mais les usages des sens évoluent aussi au fil du temps : des variables écologiques et culturelles modulent les apprentissages des sens (Battesti & Candau, 2023). Par exemple, une étude des pratiques de jeunes chasseurs inuits a montré une corrélation entre le recourt croissant au GPS pour s’orienter sur la banquise et un désengagement sensoriel : une moindre attention portée, notamment, aux vents et aux mouvements de la neige a induit une perte de savoirs et de savoir-faire en cognition spatiale (Aporta & Higgs, 2005). Le manque de familiarité avec la mobilisation du sensorium humain freine l’accueil des sensations, leur intégration et leur traduction en connaissances. L’apprentissage sensoriel soulève des questionnements au cœur de l’anthropologie des perceptions sensorielles. En tant qu’élément bio-psycho-social (Gélard, 2013b), le corps nécessite d’être redécouvert, le développement de l’usage des sens doit être accompagné, travaillé, pour sortir des conditionnements réduisant trop souvent les rencontres avec les altérités naturelles selon des schémas programmatiques issus de connaissances intellectualisées.
Face au besoin de développer une approche sensible du milieu, je développe une méthode qui participe à une redécouverte et à un développement de l’usage des sens. Cette méthode croise les enjeux académiques présentés dans ce texte avec une approche psycho-corporelle, avec l’objectif d’outiller l’individu à développer l’usage de son corps-chair pour appréhender le monde. Je vais maintenant présenter la méthode psycho-corporelle investie ici, qui est la sophrologie.
Investir une approche psycho-corporelle
La sophrologie comme outil méthodologique
La sophrologie reste fréquemment mal connue car souvent assimilée à de la relaxation, dont elle se revendique pourtant très différente. Elle a été créée dans les années 1960 par un neuro-psychiatre espagnol, Alfonso Caycedo, qui s’est intéressé à l’hypnose à visée thérapeutique avant de devenir le dernier élève de Ludwig Binswanger qui l’initie à la phénoménologie. Caycedo s’inspire également de la phénoménologie de la perception de Merleau-Ponty pour explorer l’inscription corporelle de l’individu dans le monde. Il est ensuite initié à diverses disciplines indiennes, tibétaines et japonaises qui viennent enrichir ses connaissances. Il développe la sophrologie sur ces fondements. La sophrologie est un ensemble de pratiques psycho-corporelles revendiquant un objectif le développement de la conscience humaine définie par son fondateur comme ce qui permet à l’humain de se vivre dans l’harmonie corps-esprit (Esposito, 2010, p. 16).
Même si certains sophrologues, dont son fondateur, proclament la scientificité de la sophrologie, elle souffre d’un manque de reconnaissance[3] faute de preuve scientifique de son efficacité[4], alors qu’elle est pourtant utilisée dans le milieu de la santé conjointement à des approches thérapeutiques reconnues. Le manque de fondements scientifiques des théories avancées par son fondateur, ainsi que son usage d’un vocabulaire fortement composé de néologismes parfois pas assez explicités, décrédibilisent sa revendication de scientificité. Le travail présenté ici ne cherche pas à rentrer dans le débat de la scientificité de la sophrologie et ne revendique aucune dimension médicale. Il souhaite faire une proposition méthodologique qui s’appuie sur l’usage empirique de la sophrologie[5] en ce qu’il permet ici de défendre un changement de posture dans l’appréhension du milieu dans les pratiques agricoles.
La sophrologie s’intéresse à la phénoménologie de la perception en tant qu’elle consiste à rencontrer le réel par l’expérience du corps : « En sophrologie, la conscience du sujet s’éprouve […] charnellement dans une expérience ancrée, au point de pouvoir parler d’un corps-conscient ou d’une conscience-corps » (Esposito, 2010, p. 23). Dans ce cadre rejoignant la pensée merleau pontyenne, le corps n'est plus objectivé, mais envisagé comme constitutif de notre être, comme moyen d'être au monde : il constitue la personne, il la traduit, il rencontre le monde. Sentir le monde par son corps permet de développer la conscience des altérités du monde, cela « prépare le moment d'altérité » (Hess, 2016, p. 163), l’humain peut prendre conscience des altérités qui y sont présentes. Pour ce faire, la sophrologie mobilise tous les sens dans la rencontre de l’Autre : odorat, ouïe, toucher, goût, vue, équilibre. Une meilleure connaissance de son corps passe par un développement des capacités intéroceptives[6], extéroceptives[7] et proprioceptives[8] de manière à valoriser tous les possibles de percevoir le monde. L’humain touche les éléments du milieu, qui, en retour « touchent » l’humain : cette réciprocité du contact amène l’humain à découvrir le monde. Le corps devient chair du monde, « indivision de cet Être sensible que je suis, et de tout le reste qui se sent en moi » (Merleau-Ponty, 1964, p. 309).
La sophrologie appuie également ses pratiques sur diverses disciplines orientales (yoga, tummo tibétain, bouddhisme, zen), dont les démarches permettent d’explorer méthodiquement une approche corporelle de la conscience humaine. Les différentes postures proposées par ces disciplines sont autant de moyens corporels d’explorer la conscience telle que la méditation dhyâna[9], le kin-hin[10], le développement de la maîtrise de la respiration, les vibrations gutturales par exemple. Les pratiques d’ordre méditatif médiées par le corps ancrent l’individu dans le concret du monde.
Développer des connaissances dans le monde
L’objectif est d’outiller l’individu de manière ciblée afin d’apprendre finement ses sensations, qu’elles soient intéroceptives comme la modification de la respiration ou du tonus musculaire dans un lieu particulier ou durant une activité avec des éléments de nature par exemple ; extéroceptives comme des révélateurs d’informations venues du milieu (vent, intensité lumineuse…) ; proprioceptives, renseignant par exemple sur l’état du sol au fil des stimulations des récepteurs durant une marche. Ces informations permettent de redécouvrir des aspects de soi, de soi au sein du monde, de son corps chair, de sa relation à l'existence en tant que « travailleur de la nature ». Les facteurs travaillés sont ciblés sur les enjeux liés aux modes d’intervention sur et avec la nature, toujours dans l’optique de revenir à une interdépendance des sens, l’intersensorialité (Candau, 2010), et à la conscience que c’est tout l’être qui perçoit (Esposito, 2010, p. 101). La méthode offre la possibilité à l’individu d’éduquer, travailler, développer l’usage de ses sens. Cela ne reste pas un objectif en soi, puisqu’une attention accrue à ses sensations permet de développer de nouvelles connaissances. Il ne s’agit pas de faire plier le corps pour mieux maîtriser des pratiques (Lamy, 2008), mais de laisser s’exprimer le corps en le redécouvrant, en lui accordant une plus grande place et une meilleure attention dans ses manières d’être au monde pour affiner la sensibilité. L’accueil de cette sensibilité corporelle permet de développer un nouveau type de connaissances, non pas seulement des mouvements internes du corps (Bois & Austry, 2007) mais, comme nous l’avons vu, d’un corps « chair », donc des connaissances sensibles composées en entremêlement avec le monde. Chaque individu peut interroger l’usage de son corps, de ses sens et de ses émotions pour rencontrer le monde ; la réinscription des connaissances dans le monde et non plus en posture de surplomb, est rendue possible par le développement d'un vécu corporel. Ces savoir-faire offrent à l’individu la possibilité de sortir des sentiers balisés par une approche hyper-intellectualisée du monde, de développer des connaissances loin des conditionnements normatifs. De cette manière, la méthode souhaite développer une démarche réflexive, volontaire et consciente sur les connaissances individuelles, selon des protocoles élaborés dans le cadre méthodologique structurant de la sophrologie. La démarche ancre les interrogations anthropologiques dans le réel du vécu. Les protocoles de travail sont ciblés sur des facteurs dont l’apprentissage est décomposé en étapes successives de découverte, développement des compétences puis intégration de ces compétences au quotidien. L’entraînement est supposé transformer la personne par l’accumulation de pratiques où il se passe quelque chose de plus que le simple vécu grâce à l’engagement de l’individu dans une expérience concrète (Chéné, 2000).
Enfin, s’emparer des perceptions vécues selon cette méthode souhaite ouvrir à de nouvelles relations à développer avec les éléments de nature selon la créativité de chacun. Ce processus est important dans une démarche où l'agriculture se doit d’être inventive en permanence. Des travaux portant sur la transition agroécologique soulignent le besoin de changer de paradigme pour appréhender et gérer les interactions entre l'environnement et la production, de manière créative : aujourd’hui, « l’agriculteur doit se positionner dans le domaine de la création et non plus de l’exécution » (Mayen, 2013, p. 251). La valorisation de la créativité et la confrontation aux incertitudes des systèmes agroécologiques doivent s’appuyer sur le développement de compétences personnelles qui autonomisent l’individu dans ses choix. La liberté individuelle dans la formulation des relations à entretenir avec les éléments de nature ne peut être normée et ne permet pas de préjuger des formes obtenues. Pour cela, elle s’appuie sur la recherche de l'autonomisation de la personne. Chaque individu fait ses propres expériences en identifiant ce qui est juste pour lui. Les vécus personnels des phénomènes priment sur les inductions qui peuvent être émises par le sophrologue. En développant sa conscience sophronique, en apprenant à découvrir ses propres valeurs, émotions, sensations afin d'apprendre à se connaître, loin des regards et des jugements extérieurs, l’individu s’autonomise.
La démarche proposée a été appliquée sous forme d’ateliers thématiques (valeurs de vie, perceptions du sol, travail sur les sens…) collectifs optionnels ponctuels auprès d’élèves d’un lycée agricole et d’étudiants en agronomie (écoles publique et privée). Les résultats, encourageants selon les participants, incitent à poursuivre les pratiques dans le cadre d’un protocole scientifique à élaborer de façon à structurer les retours d’expérience.
Conclusion
En agroécologie, le besoin d’ancrage aux spécificités des lieux pour développer d’autres connaissances que celles venant du monde académique demande d’investir notre capacité à rencontrer le monde de manière sensible.
La méthode décrite ici s’ancre dans le concret des pratiques agricoles grâce au vécu expérientiel qu’elle propose de développer, une attitude d’attention à adopter au quotidien envers une matière désormais considérée comme capable d’agir dans le monde. Elle vise que chaque individu puisse utiliser ses sens pour redécouvrir le milieu sans visée normative mais de façon dynamique et en construction permanente, grâce à un affranchissement des certitudes et un déconditionnement des a priori façonnés par une approche cartésienne du monde.
Le réinvestissement du vécu perceptif permet de réinscrire l’humain sur Terre, dans les lieux, de redécouvrir la nature dans sa matérialité, dans toutes ses dimensions spatiales et temporelles. Cette méthode porte une dimension heuristique par la mise en œuvre d’une reconquête des liens entre corps et esprits pour renouveler nos rapports au monde et participer ainsi à une transition agroécologique prometteuse.
Bibliographie
Aporta, C., et Higgs, E. (2005). Satellite Culture: Global Positioning Systems, Inuit Wayfinding, and the Need for a New Account of Technology. Current Anthropology, 46(5), 729‑753. https://doi.org/10.1086/432651
Battesti, V et Candau, J. (2023). Apprendre les sens, apprendre par les sens. Anthropologie des perceptions sensorielles. Paris : Petra.
Blanc, G., Demeulenaere, E. et Feuerhahn, W. (2017). Humanités Environnementales. Enquêtes et Contre-Enquêtes. Paris : Editions de la Sorbonne.
Bois, D. & Austry, D. (2007). Vers l’émergence du paradigme du sensible. Réciprocités, 1, 1-18.
Candau, J. (2010). Intersensorialité humaine et cognition sociale. Communications, 86(1), 25‑36. https://doi.org/10.3917/commu.086.0025
Chéné, P-A. (2000). Sophrologie. Fondements et méthodologie. Paris : Ellébore.
Compagnone, C., Lamine C. et Dupré L. (2018). La production et la circulation des connaissances en agriculture interrogés par l’agroécologie. De l’ancien et du nouveau. Revue d'anthropologie des connaissances, 12(2), 111-138. https://doi.org/10.3917/rac.039.0111
Csordas, T. J. (1994). Embodiment and experience. The existential ground of culture and self. Cambridge : Canbridge University Press.
Esposito, R. (2010). Sophrologie. Lexique des concepts, techniques et champs d’application. Issy-les-Moulineaux : Elsevier Masson.
Gélard, M.-L. (2013a). Corps sensibles. Usages et langages des sens. Nancy : Presses Universitaires de Nancy.
Gélard, M.-L. (2013b). "Les techniques du corps” de Marcel Mauss. Renouveau ou retour sur une question annexe. In Dianteill, E. (éd.), Marcel Mauss. L’anthropologie de l’un et du multiple. Paris : Presses Universitaires de France, 88-100.
Gélard, M.-L. (2016). L’anthropologie sensorielle en France. Un champ en devenir ? L’Homme, 1 (217), 91–107. https://doi.org/10.4000/lhomme.28868
Girard, N. (2014). Gérer les connaissances pour tenir compte des nouveaux enjeux industriels. Revue internationale de psychosociologie et de gestion des comportements organisationnels, XX (49), 51‑78. https://doi.org/10.3917/rips1.049.0049
Héritier, F. et Xanthakou, M. (2004). Corps et affects. Paris : Odile Jacob.
Hess, G. (2016). La Conscience Cosmique. Esquisse pour une conception non réductrice de la relation de l’homme à la nature. In Bourg, D., et Hess, G. (dir.), Science, conscience et environnement. Penser le monde complexe. Paris : Presses Universitaires de France, 135-176.
Houdayer, H. (2020). Prolégomènes aux humanités environnementales. Sociétés, 148(2), 11-16. https://doi.org/10.3917/soc.148.0011
Javelle A. (2021). Du « faire avec » au « devenir avec » la nature en système maraîcher : l’émergence d’agricultures sympoiétiques. Tracés. Revue de Sciences humaines, 40, 27-42. https://doi.org/10.4000/traces.12135
Lamy, J. (2008). Les savoirs incorporés : la mise en scène du corps chez les astronomes toulousains du XVIIIe siècle. Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 115(1), 119-131.
Laplantine, F. (2005). Le social et le sensible. Introduction à une anthropologie modale. Paris : Téraèdre.
Le Breton, D. (2007). Pour une anthropologie des sens. Vie sociale et traitements, 96(4), 45- 53. https://doi.org/10.3917/vst.096.0045
Mayen, P. (2013). Apprendre à produire autrement : quelques conséquences pour former à produire autrement. POUR, 3(219), 247-270. https://doi.org/10.3917/pour.219.0247
Merleau-Ponty, M. (2017 [1945]). Phénoménologie de la perception. Paris : Gallimard.
Merleau-Ponty, M. (1964). Le visible et l’invisible. Paris : Gallimard.
Moneyron, A., Girault, M-L., Andréïs, G. et Lécrivain, E. (2013). Accompagnement pédagogique et itinéraire de formation. Supagro Florac.
Teil, G. (2019). Learning to smell: on the shifting modalities of experience. The Senses and Society, 14(3), 330‑345. https://doi.org/10.1080/17458927.2019.1665812
[1] Voir par exemple l’ouvrage de Thomas J. Csordas (1994) sur l’« embodiment », et plus particulièrement l’introduction qui parcourt les travaux pionniers sur le sujet.
[2] « Embodiment as the existentiel ground of culture and self » (ma traduction).
[3] Par exemple, le ministère de la santé a affirmé au Journal Officiel en 2004 que : « La sophrologie n'est pas une discipline définie ni reconnue dans le cadre du code de la santé publique. […] À ce jour, aucune étude sérieuse n'ayant été réalisée dans ce sens sur la sophrologie, cette activité ne saurait être considérée comme une méthode thérapeutique à promouvoir. » https://questions.assemblee-nationale.fr/q12/12-39230QE.htm, consulté le 20/01/2023.
[4] La sophrologie fait l’objet de peu d’études scientifiques. Par exemple, on notera l’écart dans le nombre d’études apparaissant dans PubMed (principal moteur de recherche de données bibliographiques en biologie et médecine) concernant la sophrologie (113) et la pleine conscience (25.150). Recherche faite le 3 février 2023.
[5] L’auteure a été formée à la sophrologie durant 2 ans. La formation représente 420 heures en présentiel, 600 heures de pratiques personnelles et 15 heures de stage professionnel. Le titre obtenu est inscrit au répertoire national de la certification professionnelle (RNCP).
[6] Capacité à ressentir les états internes, traductions émotionnelles de nos vécus.
[7] Capacité à ressentir les stimulations du milieu extérieur par des récepteurs sensoriels de la surface du corps.
[8] Capacité à nous percevoir dans l'espace, ce qui nous permet de rester en équilibre.
[9] Terme sanskrit qui désigne des états de concentration qui se retrouvent dans l’hindouisme, le bouddhisme et le jaïnisme. Il peut être traduit par ‘méditation’ ou ‘contemplation’.
[10] Terme du bouddhisme zen qui désigne la méditation en marchant.