Résumé

Résumé :

L’article analyse la façon dont un certain type de dessin, qualifié de découverte, pratiqué dans les sciences de l’environnement et en particulier en géographie, constitue un réservoir d’expériences pour imaginer des façons moins objectifiantes de produire de la connaissance, mais pour davantage « faire connaissance avec » et renouveler par là nos relations avec les lieux et le vivant. Il montre comment cette pratique permet une rencontre, au-delà du couple sujet/objet et d’autres couples hérités de la modernité, et entraîne vers d’autres compositions de monde, pouvant ainsi participer au renouvellement des sciences de l’environnement mais aussi de l’éducation en ce XXIe siècle.

Abstract:

The article analyzes the way in which a certain type of drawing, described as drawing of discovery, practiced in environmental sciences and in particular in geography, constitutes a reservoir of experiences to imagine less objectifying ways of producing knowledge and thereby renew our relationships with places and living things. It shows how this practice allows an encounter, beyond the subject/object couple and other couples inherited from modernity, and leads towards other compositions of world, thus being able to participate in the renewal of environmental sciences but also of education in the 21st century.

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Introduction

Les sciences travaillent sur des éléments considérés et traités comme des objets : cette approche objectifiante, qui prête facilement à la réduction, a été à la source de critiques régulières au cours de leur histoire. Avec les crises environnementales, ces critiques s’actualisent : le savoir scientifique n’est-il pas trop étroit qui considère la Terre, le vivant, les biotopes… comme des objets ? Ne repose-t-il pas sur un paradigme moderne qui est en partie responsable de ces crises ?

Se pose alors la question de savoir comment les sciences de l’environnement peuvent répondre de façon réflexive et inventive à cette mise en cause. Le propos de cet article est de considérer qu’elles ont en partie dans leurs histoires les ressources qui leur permettent d’y répondre, pour aussi se transformer et se renouveler : l’article examine ici le cas des dessins faits par les scientifiques. Ce type de dessin fait l’objet d’un regain d’intérêt ces dernières années (Causey, 2017 ; Tondeur, 2018 ; Roussel et Guitard, 2021). L’originalité de cet article est de proposer une lecture de cette pratique dans les disciplines des sciences de l’environnement comme un travail de connaissance qui dépasse le couple sujet/objet, et permet, de façon plus large, d’interroger la question des compositions de monde, et par là de renouveler la pensée et les relations aux lieux. Ainsi, l’accent n’est pas mis avant tout sur le dessin comme outil d’analyse scientifique, mais comme modalité par laquelle, pour reprendre des expressions du botaniste et dessinateur Francis Hallé, il s’agit moins d’avoir connaissance de … que de faire connaissance avec (Hallé, 2016). Nous appellerons ici ce type de dessin, « dessin de découverte ».

Ces dessins de découverte accompagnent le développement des sciences de l’homme et de l’environnement depuis leur début. Le XVIIIème siècle, en particulier, a été un moment fort de leur développement, notamment par l’émergence de la figure du savant-carnettiste, qui plus est parfois voyageur, ou membre d’expéditions scientifiques. Peu à peu, cette figure plus ou moins romantique a cessé de jouer un rôle prépondérant sur la scène scientifique, et a même été reléguée aux marges, et le dessin de découverte avec lui. Il a perduré cependant, discrètement, dans un contexte ou le dessin en général cessait progressivement, dès le début du XXème mais plus encore dans la seconde moitié de ce siècle, d’être une pratique scientifique régulière. Aujourd’hui, il pourrait peut-être connaître un nouvel élan alors que l’on observe un regain d’intérêt pour le dessin dans ses relations avec la science en général.

C’est donc dans ce contexte que nous chercherons à identifier ce qui fait la spécificité de ce type de dessin et à en dégager les enjeux. Nous verrons d’abord qu’il permet une ouverture de l’attention (et même dans certains cas une attention sans attente) qui favorise la rencontre ; puis nous verrons que le geste entraîne le scientifique-carnettiste dans un rapport de connaissance bien particulier, au-delà du couple sujet/objet, et marqué par le rôle du corps et du geste. Enfin nous poserons la question de l’expression de cette connaissance par le dessin et de sa transmission.

 

Le dessin : une ouverture de l’attention propice à la rencontre

De nombreux scientifiques ont recouru au dessin comme à un simple outil au service de l’enquête de terrain. Dans les premiers temps de la géographie universitaire par exemple, des personnalités comme Paul Vidal de La Blache (Courtot, 2010), Emmanuel de Martonne (Wolf, 2016 ; Hallair, 2011) ou Albert Demangeon (Clerc, 2015) s’en servaient pour fixer dans leurs carnets des observations, un peu comme on prendrait des notes, soit comme aide-mémoire pour un travail ultérieur où la description et le raisonnement par la langue (et non le trait) tenaient le premier plan. Cependant, le dessin s’avérait déjà, plus qu’un outil, l’occasion d’une expérience où les sens étaient soudain mis en éveil. Ainsi peut-on régulièrement trouver, par exemple sous les croquis de Paul Vidal de La Blache quelques phrases ou annotations qui mentionnent des émotions d’ordre esthétique : sous une esquisse, alors qu’il voyage dans les Alpes en 1889, c’est par exemple la « couleur noire du Pelvoux dans un ciel bleu de plomb, miroitement de l’air sur les cailloux en plein midi, désolation profonde » (Estrangin, 2021). Le dessin, incidemment, amène donc à une ouverture de la perception. Une disponibilité nouvelle aux lieux apparaît. Cette disponibilité peut aller plus loin, et même être un stratagème. Le dessin est utilisé ainsi, un siècle plus tard, par Elise Olmedo, dans un travail d’enquête sur la place des femmes dans l’espace public d’un quartier populaire de Marrakech (Olmedo, 2010). Il est pour commencer un moyen pour rendre la présence de la chercheuse socialement acceptable dans certains lieux, et pouvoir y demeurer le temps nécessaire à l’enquête de terrain. Le dessin crée un lien propice à la confiance entre la scientifique qui enquête et ceux qu’elle rencontre, et donc un climat serein et favorable à la connaissance. Cette propriété était bien connue du géographe Pierre Deffontaines qui préconisait pour créer une telle situation deux moyens (Deffontaines, 1980) : le premier était la fausse crevaison de bicyclette, qui conduisait à sympathiser avec le sauveur, et le deuxième était donc le dessin. Il faut noter que cette caractéristique du dessin le distingue assez nettement de la photographie, sans doute car il est un medium dont la technicité est très simple, lisible, accessible, compréhensible par tous – du moins pour le croquis qui n’est pas chargé de codes scientifiques. C’est un outil convivial (Courtot et al., 2020), rudimentaire parfois : mais le caractère même inexact du dessin joue ici comme un atout, ce qui le délivre d’un rapport à un certaine identité (surtout à une assignation identitaire) et par là de jeux de pouvoirs et de contrôle. Il déjoue de la sorte une certaine dose de violence impliquée par la description de l’autre. Il entraîne même une collaboration et une connivence quand l’informateur commente le dessin en train de se faire ou prend à son tour le crayon dans une démarche de recherche participative.

La pratique du dessin amène donc dans une situation paradoxale où elle favorise une disponibilité qui permet à la scène regardée de se dérouler de façon relativement naturelle, c’est-à-dire de façon peu laborieuse ni élaborée, avec un minimum de perturbation, tout en étant observée à nouveau frais, dans des conditions qui favorisent un regard inhabituel. Elle place, en fait, dans une situation de rencontre au sens où l’entendait Henri Maldiney : « La rencontre, écrivait-il, a partie liée avec l'inattendu. Au moment où elle se produit, touts les anticipations de l'attente sont en déroute. Et si elles ne le sont pas, je suis déçu dans mon attente pour n'avoir pas rencontré ce plus, ce hors d'attente, qu'est l'émergence de la réalité » (Maldiney, 2007). Dans une optique de recherche, le dessin autorise donc un pas de côté par rapport à ce qui pourrait-être un programme strictement établi. Il serait plutôt un catalyseur d’imprévu en offrant la possibilité de perspectives nouvelles. C’est ainsi que l’utilise l’ethno-botaniste Florence Brunois pour « élargir et affiner sa perception du vu et du visible » (Brunois, 2002). Elle note par exemple que le dessin force, par l’exercice et les difficultés rencontrées dans son exécution, à saisir toutes les teintes subtiles d’une feuille, en particulier dans ses ombres. Elle indique également que le dessin conduit à voir un phénomène dans sa globalité. Dans certains dessins, souvent des dessins virtuoses exécutés de façon agiles, rapides et suggestives, ce point s’exprime par le fait que des détails pris isolément deviennent illisibles, et qu’ils ne revêtent une signification, cette fois-ci claire, qu’une fois considérés dans l’ensemble de la composition. C’est particulièrement le cas dans les dessins de Deffontaines (Huerta, 2009) qui dessinait des paysages très vite, parfois depuis le hublot de l’avion, avec un cure-dent trempé dans l’encre de chine. Une place est ainsi offerte au pouvoir évocateur de l’expression, quand l’expression scientifique privilégie logiquement une précision définitoire. Notons également que dans le cas de Deffontaines, comme chez bien d’autres scientifiques, le dessin était aussi une façon de se livrer et même de s’abandonner au plaisir d’une curiosité qui interroge le monde et qui le parcourt du regard. Ce goût de la curiosité s’affirme dans un plaisir émerveillé de voir les paysages, qui sont découverts dans la rencontre, dans la joie et leur présence complète. Nous nous dirigeons alors vers une autre portée de la rencontre, toujours en suivant Maldiney, qui n’est plus seulement l’élargissement de la conscience du réel, mais aussi et « à la fois un éclatement et une éclosion. Un éclatement : le monde dans lequel nous avons habituellement confiance vole en éclats ; une éclosion : percée d'un autre monde » (Maldiney, 2007).

 

Le dessin et la percée d’un autre monde

Nous venons de voir qu’un certain type de dessin scientifique peut être compris comme une rencontre qui passe par un renouvellement du regard. Ainsi l’entendait par exemple l’artiste et naturaliste Robert Hainard qui réalisa de très nombreux dessins de mammifères, dont certains illustrèrent des guides scientifiques. Remarquons de façon préalable que son intérêt pour les animaux sauvages tenait à sa curiosité pour des altérités qui généraient un émerveillement, à l’instar de Deffontaines : « Que des êtres très différents de nous vivent en dehors de notre volonté et de nos systèmes, voilà ce qui m’a toujours émerveillé » écrivait-il ainsi (Hainard, 1999). Notons aussi que dans son travail de dessinateur Hainard défendait une approche et une représentation fidèle au réel, mais toutefois bien différente du dessin purement analytique, démonstratif, explicatif, qui existe aussi dans les sciences. « Très tôt, déclarait-il, ma discipline a été de travailler d’après l’animal libre, sauvage, sans documentation surajoutée. On a pu dire que je n’étais pas un bon dessinateur d’histoire naturelle, je suis tout à fait d’accord. Je déteste faire l’animal d’après des documents. Pour moi, c’est la fidélité à ma sensation, au moment de l’observation. Et mon idéal, quand je vois un animal, serait d’oublier tout ce que je sais sur lui pour le voir chaque fois d’un œil neuf. »

L’œil neuf peut résulter en partie du travail scientifique qui peut aider à désencombrer le regard de nombreux préjugés, et aider à dissiper ainsi une fausse candeur qui ne serait qu’un écran formé de conditionnements divers (culturels, sociaux) totalement subjectivés et par là, invisibilisés. Mais le caractère neuf de l’œil n’est pas ici le seul produit de la déconstruction scientifique : il tient aussi au savoir-faire du dessinateur dans l’exercice de sa tâche, et à un geste. Le regard-même pour commencer est un geste. Il réquisitionne le corps. Le corps et le geste permettent en effet de reconnaître et de renouer avec un réel brut non formulé en court-circuitant, par la surprise et l’immédiat, et autant que possible, les schémas préexistants de perception. Chez Hainard cela se traduisait notamment par le fait qu’il dessinait très volontiers sur le vif, captant l’animal entrevu lors d’un affût en se mettant pour ainsi dire à sa place, soit en imaginant de façon empathique ses mouvements dans son propre corps, mémorisant ainsi cette proprioception pour, dans l’instant d’après, la restituer sur le papier. La vérité recherchée ici n’est plus la reproduction objectivement exacte de l’animal mais une energeïa.

Le géographe Jean-Pierre Allix, qui a la fin de sa vie rédigea un traité de peinture (Allix, 2017), insistait lui-aussi sur l’importance du corps et du geste. Il les privilégiait alors dans son travail, contrairement à une approche conceptuelle notamment car il était alors entraîné vers un état proche de la transe. « Dans chacun de mes gestes, j’ai l’illusion (mais est-ce une illusion ?) d’obéir à une suite de directives qui me sont fournies de l’extérieur et je découvre, les unes après les autres, les lois inscrites dans un code auquel il est impératif de se conformer mais dont j’ai pourtant le sentiment d’inventer moi-même – au coup par coup - les différents articles, ceux-là mêmes auxquels je suis tenu d’obéir, sous peine de voir toute la boutique s’en aller vers le barbouillage » (Ibid.).

On le voit à travers ce propos, ce qui agit alors dans le dessin n’est ni tout à fait de l’ordre du sujet ni tout à fait de l’ordre de l’objet ; ni intérieur, ni extérieur ; ni nécessité ni liberté. La « transe » entraîne vers une nouvelle relation au monde qui est surtout la possibilité pour le milieu de se reconfigurer selon une trame relationnelle (une matrice) nouvelle. C’est l’éclosion et l’éclatement de la rencontre, dont parlait Maldiney. Il serait possible aussi de parler d’ouverture de la composition de monde (en entendant cette expression au sens de Philippe Descola), ou de poétique de la médiance (en puisant cette fois-ci chez Augustin Berque). Allix parlait pour sa part de découverte d’un « espace que personne ne connaissait jusque-là. Un espace qui n’existait pas. Et qui maintenant existe. » (Ibid.).

 

Partager ce type de connaissance

Cependant ce type de connaissance semble d’emblée avoir un défaut : celui d’être lié directement à la conjoncture qui l’a vu naître, et donc manquer d’universalité. Son domaine de validité paraît donc limité. Mais sa prétention se trouve ailleurs. Son intérêt tient en fait à sa possibilité de transmettre l’onde de choc de la rencontre qui l’a traversé, pour reproduire chez celui qui l’aborde l’effet d’ouverture qui l’a initialement inspiré. En lieu et place d’un magistère universelle, sa vérité tient à une énergie, à une translation de forces à travers des formes. Autrement dit la représentation doit être encore porteuse de présence. Elle doit tenir, d’une manière ou d’une autre, de l’œuvre, capable d’ouvrir – et échapper par là à la dualité de la présence et du représenté (Maldiney, 2000).

On peut bien parler d’un projet de connaissance qui n’est pas réduit à la seule expérience personnelle, dans la mesure où son expression peut s’inscrire dans une vie collective qui est en fait la vie d’une culture liée au(x) milieu(x).

C’est ce qui motive le peintre-géographe Grain Galet a décrire les rivières réunionnaises à l’aquarelle, une technique qui s’appuie sur la force de l’eau (la gravité, l’érosion, les dépôts, l’évaporation), et qui agit sur le papier comme elle agit sur le bassin versant. La géographie désigne et associe alors étroitement à la fois le visage de la Terre et les traits qui le décrivent. Elle est « ouvrage des lieux » (Galet, 2020). Il en découle un autre aspect paradoxal. Quand Maldiney disait pour sa part que la rencontre est une émergence de la réalité où « Le réel est toujours ce qu'on attendait pas et qui, sitôt paru, est depuis toujours déjà là » (Maldiney, 2000), Grain Galet explique vouloir peindre « le lieu tel qu’il a lieu » (Galet, 2020), soulignant à la fois que la géographie usuelle manque cette évidence vivante, et dans le même temps que ce qu’il s’agit d’atteindre n’est rien d’autre que ce qui ne peut manquer de se passer.

Fig 1. Grain Galet, Ilet Bethléem, 2018. Cette aquarelle de Grain Galet est extraite de son travail sur les rivières de l’est de La Réunion.

« L'aquarelle est peu propice au contrôle. Il faut s'en remettre au jeu de l'eau, qui devient à part entière auteure de l'oeuvre, avec son mouvement, sa façon de charrier des pigments, d'en raviner d'autres, de les déposer. Dans une démarche de géographie phénoménologique, qui tente d’être une description du monde au plus proche du mode d’ouvrir qu’est le phénomène, elle est une technique que je privilégie. Je me considère moins comme l'esprit qui décrit que comme étant au service d'une poétique qui se trouve dans le lieu et qui est invitée à passer sur la feuille » (Ibid.).

Ce faisant le savant-carnettiste réalise bien souvent que cette mission est d’une exigence considérable, qui réclame à la fois un esprit instruit et une virtuosité, peut-être même une dose de chance. Pourtant, quand bien même toutes ces conditions ne se retrouveraient pas réunies de façon optimale, quelque chose s’épanouit, ne serait-ce que pour le chercheur lui-même. Un sens relationnel, une intelligence au milieu a été aiguisée. Voilà qui participe à enrichir et à transformer une personne. Très vite vient alors à l’esprit qu’il y a donc là aussi un ressort éducatif. Un tel genre de dessin devient un instrument au service d’une éducation qui ne fasse pas de l’environnement seulement un objet d’apprentissage, mais aussi un domaine dans lequel vivre des expériences directes qui nourrissent pour ainsi dire la « géographibilité » (comme on parlerait de sociabilité) de l’enfant, et par là son existence, de façon aussi à encourager sa capacité à jouer, être créatif, et en définitive à donner du sens. Aujourd’hui, de nombreuses pédagogies par le dehors prennent leur essor en témoignant d’un état d’esprit proche de ces préoccupations. Elles se saisissent parfois du dessin, mais peut-être peuvent-elles encore le faire davantage. Et leur place reste marginale dans le paysage éducatif et scolaire. Le dessin éducatif en humanités environnementales reste peut-être encore à inventer. Il permettrait de lier le savoir (scientifique) avec une saveur (esthétique), et par là lier une connaissance lucide sur le monde avec une créativité et une vitalité existentielle. Ce serait donc peut-être, modestement, une réponse (parmi bien d’autres) au sentiment d’éco-anxiété qui va grandissant dans le milieu scolaire, et une façon de préparer les jeunes générations aux défis qu’elles doivent relever en ouvrant un autre monde.

 

Conclusion

Le dessin de découverte est un type de dessin régulièrement pratiqué par les scientifiques, en particulier dans le domaine des sciences de l’environnement, qui consiste pour commencer à prendre le temps d’observer une scène et à se rendre disponible à ce qui s’y passe. Cette situation initialement banale tend à aiguiser l’attention et plonger celui qui s’y livre dans une certaine disponibilité, où il est possible un instant de suspendre ses attentes, et à partir de là de rencontrer, soit de faire l’expérience d’un inattendu qui se présente et qui peut surprendre par une force de réel, ouvrant des dimensions d’expérience, de pensée, de réflexion qu’un protocole de recherche fortement corseté aurait lui tendance à freiner, voir à empêcher. L’expérience peut même aller dans certains cas plus loin et entraîner le chercheur à sortir de la composition de monde dans laquelle son projet de recherche s’est initialement formulé, tramé par divers couples – certains hérités plus ou moins de la modernité – comme sujet/objet, présence/ représentation etc. –  et ainsi s’aventurer dans une pensée peut-être davantage accordée à ce qui est étudié et dessiné, et plus créative, capable peut-être d’imaginer une pensée scientifique nouvelle. L’expression de ces expériences et de la connaissance qui peut en découler est tout un enjeu et réclame autant rigueur et exigence que talent artistique, pour transmettre à celui qui recevra le message et ressentir la puissance de la rencontre qui a été effectuée, et d’en être à son tour touché. On remarque aussi, que même sans parler de grands penseurs ou de grands artistes, tous peuvent gagner à ce genre de pratique : elle a certainement aussi sa place dans la panoplie des moyens éducatifs pour ouvrir la jeunesse à une culture à la fois plus fine de l’environnement et plus humaine en ce XXIème siècle.

 

Bibliographie :

Allix, J.P. (2017). L’homme qui croyait peindre des paysages. Paris : Albin Michel.

Brunois, F. (2002). Du dessin au dessein des plantes sauvages. Le Journal de la Société des Océanistes, 114-115, 23-38.

Causey, A. (2017). Drawn to see : Drawing as An Ethnographic Method. Toronto : University of Toronto Press.

Clerc, P. (2015). Dessin du géographe n°59 : Un carnet de voyage de Maurice Zimmermann en Tunisie (avril 1909). En ligne : http://cafe-geo.net/un-carnet-de-voyage-de-maurice-zimmermann-en-tunisie-avril-1909/

Courtot, R. (2010). Dessin du géographe n°1 : Vidal de La Blache, Cabris (Préalpes de Grasse). En ligne: http://cafe-geo.net/wp-content/uploads/Dessin_du_Geographe_n1.pdf

Courtot, R., Estrangin, S., and Sivignon, M. (2020). Dessin du géographe n°82 :Le dessinateur et le photographe : la photographie comme agression. En ligne : http://cafe-geo.net/le-dessin-du-geographe-n-82-le-dessinateur-et-le-photographe-la-photographie-comme-agression/

Deffontaines, J.P. (1980). Petit guide du voyageur actif. Paris : Presses Île de France.

Estrangin, S. (2021). Le dessin du géographe n°86. 100 ans de dessins de géographes dans les Écrins. En ligne : http://cafe-geo.net/le-dessin-du-geographe-n86-100-ans-de-dessins-de-geographes-dans-les-ecrins/#more-13889

Galet, G. (2020). Rivière des Roches. Ed. Court-circuit.

Hainard, R. (1999). Choeur de loups et autres histoires d’ours. Genève : Ed. Slatkine.

Hallair, G. (2011). Dessin du géographe n°25 : une double-page du carnet de terrain d'Emmanuel de Martonne : la vallées d'Anies (Roumanies). En ligne : http://cafe-geo.net/wp-content/uploads/Dessin_du_Geographe_n25.pdf

Hallé, F. (2016). Atlas de botanique poétique. Paris : Arthaud.

Huerta, A. (2009). Une ascension, une œuvre : la baie de Rio de Janeiro vue du Corcovado par Pierre Deffontaines. Confins, n°5, https://journals.openedition.org/confins/5645.

Maldiney, H. (2000). Ouvrir le rien, l'art nu. Paris : Ed. Encre marine.

Maldiney, H. (2007). Penser l’Homme et la folie. Grenoble : Ed. Jérome Millon.

Olmedo, E. (2010). Dessin du géographe n°17 : les femmes de Marrakech. En ligne : https://cafe-geo.net/wp-content/uploads/Dessin_du_Geographe_n17.pdf

Roussel, F. et Guitard E. (2021). L’usage du dessin dans l’enquête de terrain en sciences sociales : État des lieux et perspectives depuis la géographie et l’anthropologie. Carnets de Terrain. En ligne : https://blogterrain.hypotheses.org/17017

Tondeur, K. (2018). Le Boom Graphique en Anthropologie. Histoire, actualités et chantiers futurs du dessin dans la discipline anthropologique. Omertaa, Journal for applied anthropology, http://www.omertaa.org/archive/omertaa0082.pdf

Wolf, D. (2016). Dessin du géographe n°62 : Croquis d’Albert Demangeon en Limousin (1906-1911). En ligne : http://cafe-geo.net/croquis-d-albert-demangeon-en-limousin/

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