Actes n°1 / Humanités environnementales : sciences, arts et citoyennetés face aux changements globaux. Actes du colloque organisé à Montpellier les 5-7 octobre 2021

Diversité des conceptions locales de la nature au Vietnam confrontée aux récits scientifiques

Anthropologie et mésologie comme ouvertures vers la production de connaissances plus proches des réalités vécues

Christian Culas

Résumé

Résumé :

Du point de vue épistémologique, ce texte s’intéresse à la diversité des modes de production de connaissances sur la nature et sur les relations humain/nature. La question centrale du texte est celle de l’« adéquation empirique » entre les réalités locales de la nature à travers les perceptions, les expressions et les actions relatives à la nature. Devant le constat que de nombreux discours scientifiques sur ces réalités locales sont partiels, souvent réducteurs et parfois hyper-sélectifs, nous montrerons que l’association des approches anthropologiques et mésologiques permet de dépasser trois des contraintes des sciences occidentales modernes : le dualisme moderne, le principe de l'identité du sujet et le principe du tiers exclu (Berque, 2014, 2014a). La mésologie en tant que science des milieux qui travaille sur les liens tissés entre les êtres et entre les êtres et les choses permet de proposer une approche critique ouverte des différentes réalités existantes sans les découper arbitrairement en « objet » abstrait de leur contexte. 

Abstract :

From an epistemological point of view, this text is interested in the diversity of the modes of production of knowledge on nature and on human/nature relations. The central question of the text is that of the "empirical adequacy" between local realities of nature through perceptions, expressions and actions relating to nature. Faced with the observation that many scientific discourses on these local realities are partial, often reductive, and sometimes hyper-selective, we will show that the combination of anthropological and mesological approaches allow us to overcome three of the constraints of modern Western science: modern dualism, the principle of subject identity, and the principle of the excluded third (Berque, 2014, 2014a). Mesology as a science of “milieu” that work on the links woven between beings and between beings and things allows to propose an open critical approach to the different existing realities without arbitrarily cutting them into “object” abstracted from their context.

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How can we make any progress in the understanding of cultures, ancient or modern, if we persist in dividing what people join, and in joining what they keep apart? (Hocard [1952] 1970: 23).

Introduction

Une analyse critique des récits sur les aires naturelles protégées1 au Vietnam me semblait nécessaire au regard des distances qui existent entre les différentes perceptions, discours et pratiques. Ces distances sont des freins importants à une connaissance respectueuse et fidèle des manières locales de penser, d’exprimer et d’agir sur la nature. Cette hypothèse découle directement de situations que j'ai observées à de nombreuses reprises lors de mes enquêtes de terrain dans le Nord et le Sud du Vietnam depuis 2003, ainsi que de la revue d'une large littérature sur le sujet dans le monde. Dans mes différents sites de recherche, par exemple parmi les groupes ethniques dans les montagnes du nord du Vietnam (Hmong et Tày), parmi les pêcheurs Kinh dans le sud ou parmi les paysans autour des parcs nationaux du centre du pays, j'ai souvent rencontré des différences significatives entre les faits locaux sur l'environnement et les textes savants à leur sujet. J'ai également constaté que la grande majorité des projets de protection et de conservation des espaces naturels au Vietnam sont des échecs ou des quasi-échecs si l’on prend en compte à la fois les dimensions de protection de la biodiversité et celles du bien-être et du bien-vivre des populations locales (O'Rourke, 1995 ; Ortmann, 2017 ; Culas, 2019). Cette situation s’observe également dans la plupart des aires naturelles protégées dans le monde (Razafindrakoto et al., 2018 ; Quesne et al., 2019 ; Agrawal & Redford, 2006 ; Duvivier, 2021 ; Culas et Veriza, 2022). Mes expériences, observations et lectures m'amènent à proposer l'hypothèse suivante : une meilleure connaissance des actions, des récits et des conceptions des différents parties prenantes de la nature permettra de mieux comprendre les motivations et les conceptions (utilitaires, matérialistes, politiques, cosmologiques, métaphysiques) des acteurs impliqués dans ces espaces (populations locales, agents de développement, agents des ONG, agents administratifs, chercheurs, etc.). Au final, cela devrait permettre de meilleures interactions entre eux au sein des projets de conservation de la nature, vers une gestion plus intégrative et respectueuse. Les connaissances des conceptions de la nature d’un large spectre d’acteurs (en particulier les populations locales) sont encore novatrices au Vietnam car elles nécessitent, pour être produites avec précision et qualité, de prendre certaines distances épistémologiques avec les paradigmes dominants de la plupart des approches des sciences occidentales (Apffel Marglin et Marglin, 1990 ; Santos, 2014). L’approche mésologique construite par Augustin Berque, définie comme l’étude des milieux humains, développe une méthode descriptive et analytique basée sur une critique épistémologique des approches classiques des sciences occidentales modernes.

Dans le paysage des recherches en humanités environnementales, l’approche mésologique d’Augustin Berque fait presque figure d’exception. Comme de nombreux autres cadres théoriques appliqués aux relations entre les humains et la nature, la mésologie permet d’exposer en détails les limites des approches classiques et dominantes que l’on peut regrouper sous la catégorie simplificatrice de « naturalisme » (Descola, 2005). Alors que la grande majorité se contente de faire le constat (sous différents angles) que les sciences (dures et molles, physiques-naturelles et sociales-humaines) rencontrent de belles difficultés pour rendre compte des manières d’agir, de dire et de penser le monde, Berque, avec la mésologie, explique avec un argumentaire serré et rigoureux pourquoi et comment « ça ne marche pas ou si mal ». Surtout, il est l’un des rares à proposer une caisse à outils ouverte et diversifiée pour pallier aux carences de la plupart des approches scientifiques, des sciences sociales aux sciences de la nature. La suite de cet article donnera un avant-goût de quelques outils disponibles dans la mésologie de Berque2.

Malgré sa spécificité, la mésologie berquienne s’inscrit dans un mouvement d’épistémologie critique et constructiviste plus vaste et plus ancien. Je ne donnerai ici que quelques exemples de recherches qui croisent les constats et les objectifs d’Augustin Berque. Ces quelques références n’ont rien d’exhaustives, elles visent seulement à montrer que les orientations de la mésologie ou très proches d’elle existent depuis longtemps dans des courants théoriques très différents3. La mésologie recoupe les préoccupations des études « post-coloniales » et « dé-coloniales » qui remettent en cause la domination occidentale sur la production des connaissances dans les pays du Sud et sur la prédation des ressources humaines et naturelles (Apffel Marglin and Marglin, 1990 ; Agrawal, 1995 ; Smith Tuhiwai, 2012 ; Santos, 2014 ; Blanc, 2020). Un autre courant, parfois très militant datant des années 1970, va encore plus loin dans l’étendue de ses critiques de la diversité des rapports de domination : l’écoféminisme. L’idée de base de l’écoféminisme étant que différents systèmes d’oppression - du patriarcat sur les femmes, des pays du Nord sur les pays du Sud, mais également des humains sur les milieux naturels et les non-humains - fonctionnent sur les mêmes principes et qu’il convient de les dénoncer et de les transformer de manière simultanée (Haraway, 1988 ; Plumwood, 1991 ; Maris, 2009 ; Burgart Goutal, 2017 ; Merchant, 2018). Donna Haraway (1988) a forgé l'expression « savoirs situés » ou « connaisssances situées » qui recoupe certains outils de la mésologie pour définir une chose par rapport à un interprète. Notons que ces deux approches se sont développées de manière indépendante, sans lien explicite entre elles.

Le premier objectif de cette étude est d'évaluer une sélection de descriptions et d'analyses existantes de l'environnement et des aires protégées au Vietnam en termes d'adéquation avec les réalités locales.

Le deuxième objectif est plus épistémologique. Tous les auteurs cités dans cet essai, vietnamiens et non vietnamiens, sont formés aux sciences naturelles ou sociales et aux techniques d'ingénierie selon le modèle occidental moderne. Pour écrire et publier, ils doivent accepter les contraintes et embrasser, consciemment ou non, certains paradigmes qui sous-tendent la science occidentale moderne (Berque, 2014a ; 2019b). Les méthodes et outils des sciences ont déjà prouvé leur efficacité dans de nombreux domaines techniques, mais leurs limites pour décrire et comprendre le comportement humain en relation avec la nature et les non-humains sont de plus en plus évidentes (Castoriadis, 1996, p. 90 ; Berque, 2018). Lorsque les auteurs décrivent des actions et des discours sur la nature en dehors du monde occidental tout en conservant la logique et l'ontologie occidentales comme seul point de référence, la distance entre les faits locaux et les recherches à leur sujet devient souvent problématique et l'adéquation entre leur compte rendu et les réalités des autres qu’ils sont supposés décrire devient douteuse. Au cours des vingt dernières années, des anthropologues, des géographes et des sociologues tels que Berque, Descola, Ingold, Kohn, Tsing et Viveiros de Castro ont étudié en détail les problèmes de description et de compréhension de diverses ontologies non occidentales. Cette étude s'inscrit dans la continuité de leurs recherches. Elle s'appuie sur les travaux du géographe Augustin Berque (2014a ; 2016 ; 2019b) ; à ma connaissance, c’est l’un des rares chercheurs qui propose à la fois une critique forte du paradigme ontologique occidental moderne4 et une approche méthodologique constructive pour dépasser les contraintes que ce paradigme impose à la pensée scientifique.

Cette étude est organisée en deux parties principales. Premièrement, je présenterai une sélection de récits sur la forêt, la nature et les êtres non humains dans les aires protégées vietnamiennes. En particulier, je me concentrerai sur « l'adéquation empirique » (Olivier de Sardan, 2008, p. 9) des manières dont les habitants des aires protégées agissent, expriment et pensent la nature et des récits scientifiques qui prétendent les capturer. Ce tour d'horizon ne sera pas exhaustif, mais cherchera à mettre en lumière quelques jalons dans le domaine des récits et à montrer que certaines orientations épistémologiques sont plus dominantes que d'autres. Ensuite, dans une perspective anthropologique et épistémologique, je proposerai quelques outils pour décrire la réalité des autres avec plus de précision et de richesse. Je m'appuierai sur la méthode mésologique, l'étude du « milieu » humain d'Augustin Berque (2013, 2014a), avec quelques outils peu connus et peu diffusés permettant d'ouvrir les yeux sur les actions, les discours et les conceptions des autres sur la nature.

 

Des récits scientifiques sur une diversité de mondes

Cette section se concentrera sur certains récits contemporains relatifs à l'environnement et aux aires protégées5. Dans un souci de clarté, je commencerai par présenter les récits qui posent le plus de difficultés à l'analyse globale des relations entre humains et non-humains, pour passer ensuite aux textes qui accordent une attention plus fine et intégrée aux non-humains dans la gestion des espaces naturels.

Depuis 2005, de nombreuses études sur le Vietnam se sont intéressées aux relations homme-non homme, souvent à travers la gestion des espaces naturels. Ces études se répartissent en trois catégories selon leur « niveau d’adéquation avec la réalité » des populations locales (Olivier de Sardan, 2008). Le premier ensemble comprend celles qui me semblent les plus éloignées d'une approche descriptive globale de la relation à la nature. Le deuxième groupe correspond aux approches sociologiques et géographiques classiques qui appliquent des grilles de lecture académiques aux réalités locales vietnamiennes. Enfin, le troisième groupe présente des approches différentes qui prennent plus précisément en compte les contextes historiques et les dimensions cosmologiques locales.

 

Approches normatives sur les connaissances locales

Đinh Thanh Sang a étudié le rôle des savoirs locaux dans la gestion des ressources naturelles dans les parcs nationaux de Cần Tiên et Bù Gia Mập dans au moins huit articles depuis 2010. Ses études se concentrent sur des aspects très spécifiques - par exemple, les connaissances et les utilisations du bambou et du rotin - afin de « comprendre les connaissances indigènes, et d'évaluer la situation de la gestion collaborative dans le parc » (Đinh, 2020, p. 9). Cela suggère une approche globale des manières locales d'agir et de penser la nature. Mais l'auteur affirme également, en ce qui concerne les utilisations possibles des connaissances locales pour la conservation de la biodiversité, que « the positive points of the knowledge of the Indigenous Ethnic Minorities (IEM) should be widely applied and integrated with the modern knowledge. Also, negative sides of the indigenous knowledge should be abolished » (Đinh, 2020, p. viii ; je souligne). Plusieurs articles incluent cette recommandation de supprimer les connaissances indigènes que l'auteur considère comme nuisibles. « So the indigenous knowledge should be applied to sustainable edible plant use and conservation. Especially, the harmful harvesting practices need bannning soon. The highly valued forest plants traditionally used by S’tieng ethnic should be domesticated and commercialized » (Đinh, 2019, p. 8 ; je souligne).

Il est a priori surprenant de voir un auteur qui accorde tant d'attention aux détails des savoirs locaux des groupes ethniques minoritaires parler « d'abolir certains aspects de leurs savoirs locaux » sans aucune nuance sur la valeur culturelle ou la prise en compte de l'éthique. Les textes de Đinh mettent en lumière deux problèmes récurrents et plus généraux concernant les études sur les savoirs locaux au Vietnam et ailleurs.

Tout d'abord, la formation en sciences naturelles (Đinh est biologiste, spécialiste des forêts) conduit de nombreux chercheurs à croire qu'ils possèdent « intuitivement » les méthodes précises des enquêtes ethnographiques sans aucune formation. De plus, ils ignorent que l'une des spécificités de l'anthropologie est son épistémologie réflexive et critique, qui est très souvent absente des sciences naturelles. Sans ces deux éléments, il n'y a pas d'ethnographie de qualité. La formation en sciences biologiques et agronomiques fournit des compétences spécifiques pour décrire techniquement les connaissances locales, mais ce cadre rend également très difficile la conception des connaissances et des pratiques locales en tant que parties d'un système symbolique et culturel plus large qui inclut les relations entre humains et non-humains ainsi que des éléments de cosmologie. Mais ces divisions disciplinaires ne justifient pas, en soi, l'absence de prise en compte des manières locales de penser et d'agir dans le monde. Par exemple, l’auteure suivante, Dương Thi Bích Ngọc, qui s'est formée à l'origine aux sciences du sol et de l'environnement, prend néanmoins en compte les relations non matérielles et non économiques des humains à la forêt afin de mieux comprendre comment la gérer efficacement dans sa thèse de 2019. Ces dernières années, les spécialistes des sciences naturelles ont tenté de construire des agendas de recherche multidisciplinaires entre les sciences naturelles et l'anthropologie (voir Ostrom 2009 et Blair et al. 2017).

Ensuite, les commanditaires des études sur les savoirs locaux demandent presque toujours aux chercheurs de formuler des recommandations spécifiques pour gérer et transformer ces savoirs en vue d'une meilleure gestion de la nature. Ainsi, parfois malgré eux, ces chercheurs vont dépasser leurs domaines d'expertise pour donner des conseils sur les actions sociales des populations.

 

L’agroforestrie aux prises avec les dimensions sensibles et symboliques de la nature

La thèse de Dương Thi Bích Ngọc, intitulée Aspects sociaux de la conservation des forêts et de la nature au Vietnam (2019), articule une position intermédiaire dominée par la gestion agricole, mais tente à plusieurs reprises d'inclure des dimensions symboliques et cosmologiques. Seamon notait déjà en 1984 que la protection de la nature et des forêts n'a pas seulement une valeur économique, mais aussi une base non rationnelle, affective : l'amour et la responsabilité pour la terre « can not only be thought about cerebrally; they must be felt emotionally, with the heart » (p.769). Suivant cette ligne d'argumentation, de nombreux chercheurs ont soutenu que l'influence la plus importante sur les engagements humains à protéger la nature pourrait être l'émotion de se soucier de l'environnement (Clayton, 2003 ; Orr, 1993 ; Wilson, 1984 ; 1993). Dương indique explicitement que son travail est « inspired by this perception » (2019, p.16). Elle se positionne clairement comme une chercheuse qui souhaite intégrer dans sa démarche des aspects non rationnels tels que les affects et les émotions.

Dương constate que les pratiques et conceptions vietnamiennes de la forêt ne se limitent pas à des critères économiques et utilitaires :

« Other roles of the forest however lie much closer to Seamon’s (1984) « affective basis » that connects nature and the forest with traditional spirituality, virtues of care, intrinsic natural values and so on. Reading the forest policy documents, nothing of this breadth is visible at first sight, however. The forest is described basically only in economic terms, and the most recent forest policies are explicitly economic ones, both in terms of objectives (economic growth) and in terms of instruments, e.g. ‘payment for forest environmental services’. Against this background, the overall question of this thesis became: How and to what extent are economic and non-economic (cultural) forest values expressed and at work in Vietnam? » (2019, p. 17)

Cette question centrale correspond presque exactement à celle qui motive cet essai. Dương conceptualise la relation que les Vietnamiens entretiennent avec la forêt à travers l'expression « strong pro-forest culture » :

« Les forêts constituent un élément essentiel de la nature qui apporte, de manière tangible et intangible, un bien-être matériel ainsi qu'un bien-être mental, spirituel et culturel, en particulier aux populations forestières qui représentent près d'un quart de la population... Dans l'ensemble, nous concluons donc que la culture vietnamienne contient un fort élément pro-forêt à la fois dans la « practical culture » des personnes vivant dans les forêts et dans la culture plus abstraite des personnes vivant dans les zones rurales et urbaines principales. » (2019, p. 157-158)

Dương montre que, malgré cette « strong pro-forest culture », les moteurs économiques et d'exploitation à court terme sont plus forts (2019, p. 160), comme le montrent les pillages massifs et la dégradation rapide des milieux naturels.

Malgré son intérêt pour les dimensions non matérielles des relations humaines avec la forêt au Vietnam, Dương a rencontré des difficultés à produire des informations sur les « spiritual matters » concernant la forêt : « In the interviews, respondents expressed shyness to speak about spiritual matters such as these to a stranger such as the researcher », note-t-elle (2019, p. 39). Cette crainte de parler de choses spirituelles avec un chercheur ne provient pas, comme elle le suppose, d'une quelconque timidité à évoquer de tels sujets, qui font partie du quotidien des Vietnamiens, mais plutôt du fait que ce chercheur est perçu comme « positionné », par ses questions, dans son attitude vis-à-vis des choses spirituelles. En tant que doctorante en sciences de l'environnement dans une université néerlandaise, Dương est perçue par les paysans comme porteuse du système ontologique et scientifique occidental. Dans ce contexte, les interviewés vont se positionner en accord avec lui et ne seront pas à l'aise pour parler des dimensions spirituelles et cosmologiques de la nature, car ils savent que ces dimensions, bien qu'importantes pour eux, ne sont pas valorisées par la science occidentale telle qu'ils la conçoivent.

Pour illustrer comment il est possible de construire une démarche scientifique rigoureuse et ouverte aux conceptions non scientifiques de la nature, nous nous appuierons sur les textes récents de deux auteurs qui abordent les manières de penser la nature et l'environnement d'autres groupes ethniques selon des modalités qui semblent normales à de nombreux anthropologues, mais qui restent des exceptions dans les études sur le Vietnam.

 

Approches ouvertes au contexte historique local et à ses dimensions symboliques et cosmologiques

Les travaux de Cầm Hoàng, anthropologue spécialiste de la gestion forestière chez les minorités ethniques du nord-ouest du Vietnam (Thai et Dao) et chercheur principal à l'Institut d'études culturelles de Hanoi, portent une attention particulière au contexte ethnohistorique local (2009 ; 2011). Il montre comment l'exploitation forestière dans la forêt de Khau Li (province de Son La), une « national natural preservation zone » (Hoàng, 2009, p. 1) par des étrangers - Kinh, Muong et Hmong - et par les habitants d'ethnie thaïe a été rendue possible par l'abrogation des anciennes lois coutumières des seigneurs traditionnels locaux par l'État vietnamien dans les années 1960. On pourrait logiquement penser que les lois de l'État avec leur formalisme, leurs moyens de contrôle (Kiem Lâm : « gardes forestiers » et police), et leurs moyens de répression (sanctions et amendes) seraient plus efficaces que les anciennes lois coutumières thaïes. Mais le cas de la réserve Khau Li montre clairement que les lois coutumières n'ont pas été remplacées par les lois de l'État vietnamien. En fait, comme le montre Hoàng, tous les habitants de la région (Thaïs, Kinh, Muong et Hmong) sont aujourd'hui confrontés à un « vide juridique » car les lois de l'État sont considérées comme illégitimes en même temps que l'ancien système politique et symbolique du seigneur thaï local a été aboli et dévalorisé par l'État.

Le processus d'impossible substitution des lois coutumières par les lois étatiques met en évidence plusieurs problèmes que nous avons déjà rencontrés. Tout d'abord, l'État n'avait aucune connaissance précise des lois coutumières locales des Thai blancs de cette vallée, car il n'a probablement jamais pensé à rechercher des informations sur ce système local spécifique. Comme aujourd'hui, certains chercheurs négligent les systèmes politiques et symboliques locaux traditionnels dans leurs études sur la gestion de l'environnement. Deuxièmement, si l'État a été informé de l'existence de ces systèmes traditionnels locaux, il a choisi de les traiter comme « primitive », « backward » et « destructive » (Hoàng, 2009, p. 8). Dans ce cas, le nouvel État, avec sa force politique, juridique et administrative, a cherché à rompre avec le système « féodal » passé des groupes ethniques et à les faire entrer dans la modernité communiste et kinh (McElwee, 1999). L'idéologie fondatrice du Parti communiste vietnamien, le marxisme-léninisme associé à la pensée de Ho Chi Minh, représente ontologiquement une forme extrême de « naturalisme », qui a également transformé les conceptions du rapport entre l'homme et la nature (voir Culas, 2019 ; 2023). Hoàng ne fait pas une lecture ontologique des réalités locales thaïes et kinh de l'État. Il montre les différences entre les deux systèmes : l'un ancien, local et symboliquement ancré dans un espace politique, social, cosmologique et naturel, respecté parce qu'il jouit d'une légitimité et d'une autorité cosmologique ancienne ; l'autre moderne, nouveau, « parachuté » dans un espace ethnique montagnard et si sûr de sa supériorité idéologique et rationnelle qu'il néglige les systèmes locaux déjà en place.

L'anthropologue suédois Nikolas Århem s'est concentré sur le centre du Vietnam et sur diverses questions liées à l'écologie politique auxquelles est confronté le peuple Katu. Dans des publications universitaires telles que In The Sacred Forest : Landscape, Livelihood and Spirit Beliefs among the Katu of Vietnam (2009) et Forests, Spirits and High Modernist Development : A Study of Cosmology and Change among the Katuic Peoples in the Uplands of Laos and Vietnam (2014), ainsi que des rapports pour une ONG environnementale (Århem et Nguyen, 2006), il a développé une très large compréhension des réalités de la vie quotidienne des populations forestières vietnamiennes. Par exemple, dans le rapport du WWF Vietnam (Århem et Nguyen, 2006), il aborde presque toutes les activités du groupe Katu. Le chapitre sur les impacts de l'autoroute Ho Chi Minh donne une idée claire du vaste champ d'étude des auteurs, qui inclut la culture du riz, la chasse, les structures communautaires, la religion et la spiritualité indigènes, et la production domestique (Århem et Nguyen, 2006, p. 34-39).

Pour l'étude des connaissances locales, Århem et Nguyen définissent clairement les relations entre ces connaissances et les conceptions de la nature :

« In the (Katu) village…, now located along the Ho Chi Minh Highway, a number of “prohibited areas” are still respected when it comes to hunting and clearing swidden land. All these religious-ritual taboos and regulations – although based on spiritual beliefs – constitute a form of “environmental protection system” since it leaves certain areas of the forest off-limit for hunting and agriculture. Anthropologists have termed these types of belief systems “coded ecological knowledge”. Part of indigenous people’s ecological knowledge is, thus, embedded or encoded in – and cannot be separated from – their spiritual beliefs. » (2006, p. 96).

Afin de rester fidèles aux manières locales de penser le monde non humain (l'aspect « émique » de la réalité), Århem et Nguyen analysent les rites de chasse et de distribution de la viande d'un point de vue à la fois social et religieux :

« In short, hunting is an integral part of indigenous cultural and religious life; it expresses and largely constitutes manhood (maleness) in (local) society, and the ritual sharing of game meat following upon a successful hunt not only symbolises village unity but effectively creates and reproduces the village as an autonomous social unit. Indeed, in the local idiom “sharing game meat” means “belonging to the same village”. When game sharing stops, so does village solidarity and cohesion. » (2006, p.35).

Århem note ailleurs que « cosmology, livelihood and the local forest environment are here closely and fundamentally integrated » (Århem, 2014, p. 26). Il applique donc une approche équilibrée aux actions techniques de la chasse, de l'agriculture et de la cueillette et à leurs significations dans la religion locale. Cette approche se veut un écho aussi fidèle que possible de la façon dont les gens vivent et de ce qu'ils font avec la nature.

Plusieurs textes d’Arhem (2014 ; 2009 ; 2006) vont plus loin que cette approche globale qui intègre les aspects « émiques » de la réalité locale. L'auteur articule des situations micro-locales et traditionnelles avec les changements socio-économiques liés aux processus de développement de la modernité. Son récit englobe des situations de dynamique entre « Forests, Spirits, Cosmology and High Modernist Development » telles que vécues par les Katu dans leur vie quotidienne. Ces études saisissent avec une grande précision la réalité dynamique et adaptative des Katu.

 

Les fondements ontologiques des récits sur la nature

Dans la plupart des récits présentés ici, mais aussi dans de nombreux autres textes sur les relations entre les humains et la nature au Vietnam, nous constatons que des dimensions importantes de la réalité quotidienne des populations sont absentes. Ces lacunes dans la recherche ont des conséquences directes sur la compréhension des stratégies locales de gestion de la nature, et donc sur l'efficacité des actions de conservation (Århem, 2014 ; Hoàng, 2009 ; Culas, 2019 ; 2024 ; McElwee, 1999 ; 2016). Dans cette section, je vais tenter de dépasser le diagnostic des lacunes pour proposer un outil heuristique réellement capable de parler des différentes manières d'être au monde. Je m'appuierai sur l’approche mésologique d'Augustin Berque pour définir les raisons profondes (épistémologiques, philosophiques et ontologiques) qui expliquent ces absences et proposer une lecture analytique des études évoquées ci-dessus.

Dương, Hoàng et Århem prêtent à différents degrés attention aux dimensions non matérielles de la réalité des autres, mais ils n'expliquent pas les principes épistémologiques qui guident leur travail ni ne proposent d’outils qui seraient applicables ailleurs. Or, si l'on veut que les méthodes de recherche puissent être utilisées ailleurs par d’autres et également être mises à l’épreuve de la critique, il faut expliciter les fondements épistémologiques et ontologiques de leur raisonnement.

 

Les fondements de l'ontologie occidentale moderne et sa critique mésologique

Selon Augustin Berque, c'est le fondement ontologique d'une grande partie de la science occidentale moderne qui nous empêche de voir certains aspects de la réalité des autres (Berque, 2019b ; 2016). L'ontologie occidentale moderne impose de sérieuses contraintes à la pensée scientifique comme à la pensée populaire.

En raison des comparaisons anthropologiques et philosophiques avec d'autres ontologies, l'ontologie occidentale moderne est devenue une parmi plusieurs ontologies possibles plutôt que « l'ontologie par excellence » que la science occidentale moderne a soutenue pendant plusieurs siècles. Pour de nombreux scientifiques, même aujourd'hui, l'ontologie occidentale moderne continue d'être la seule véritable ontologie scientifique et rationnelle (voir Survivre, 1973, p. 54 ; Feyerabend, 1993, chap.19 ; Berque, 2014a, chap. III ; Grothendieck, 2022). D'un point de vue épistémologique élargi, cependant, cette ontologie n'est qu'une des manières possibles de voir et de penser le monde.

Pour pouvoir décrire les ontologies des autres, les méthodes doivent être suffisamment ouvertes et flexibles pour tenir compte du fait que les interactions entre humains et non-humains dépassent les schémas de l'ontologie occidentale moderne. L'approche hyper-détaillée mais ontologiquement limitée de Đinh Thanh Sang, comme nous l'avons vu, l'empêche de comprendre le savoir local comme un système d'actions, de significations et de symboles pour ses praticiens. Cette approche sélective repose sur l'idée que la science occidentale saisit facilement la complexité des pratiques et des conceptions locales. En pratique, ce réductionnisme élimine tout ce que la science occidentale considère comme des conceptions du monde erronées, voire aberrantes ou irrationnelles. Ainsi, les dimensions émotionnelles, sensibles, spirituelles, intuitives et cosmologiques sont rejetées par la plupart des sciences car elles seraient irrationnelles et mystiques, c’est-à-dire trop éloignées du monde matériel et technique valorisé ou même pris en compte par la science occidentale moderne.

Les approches réductionnistes des sciences sont souvent considérées comme une question de méthode qui ne concerne qu’un domaine particulier et très ciblé de la connaissance. Or, nous savons qu'il existe une forte corrélation entre les fondements cosmologiques et ontologiques de la science et les fondements de la civilisation occidentale moderne depuis la Renaissance. Le naturalisme, le mécanicisme, le réductionnisme, l'individualisme, les méthodes quantitatives, le capitalisme et l'industrialisme, entre autres, sont des constructions typiques de la modernité (Hess et Bourg, 2016 ; Berque, 2019b, p. 3). Le chevauchement étendu entre les sciences modernes et l'ontologie dualiste occidentale est l'un des obstacles aux approches rationnelles et rigoureuses fondées sur d'autres ontologies.

 

Des outils pour mieux comprendre la diversité des manières de penser la relation avec les non-humains

Pour développer de meilleures descriptions ou narratives des ontologies non occidentales de la nature et des manières d'être au monde, il est donc nécessaire de prendre une distance suffisante par rapport à cette ontologie dominante. Plusieurs anthropologues ont porté un regard épistémologique critique et constructif sur l'ontologie occidentale moderne (Ingold, 2000 ; Descola, 2013 ; Kohn, 2013 ; Viveiros de Castro, 2014 ; Tsing, 2015 ; Escobar, 2018). A ma connaissance, peu d'auteurs sont allés aussi loin dans l'analyse des différentes ontologies et des contraintes qu'elles imposent que le géographe et japonologue Augustin Berque. Depuis plus de vingt-cinq ans, Berque a progressivement développé une approche dont l'objectif est de dépasser les contraintes de l'ontologie occidentale moderne afin de penser le monde dans ses multiples dimensions. Cette méthode, à la fois géographique, philosophique et anthropologique, qui s'intéresse à la relation des êtres à leur milieu, s'appelle la mésologie.

« La mésologie affirme explicitement qu'un être est structurellement lié à son milieu, et donc, ipso facto, que le milieu est une chose singulière, propre à un certain être individuel ou collectif (groupe, société, espèce...), et donc irréductible à cet objet universel qu'est le milieu pour une science moderne comme l’écologie. Au-delà du dualisme moderne, la mésologie se pose ainsi comme une science ou plutôt un paradigme qui dépasse la modernité (i.e. la transmodernité). » (Berque, 2018, p.4).

La distinction entre environnement et milieu est nécessaire pour sortir du cadre des logiques occidentales. « Un milieu se définit toujours par rapport à un lieu, au moins une activité, ou un groupe social, une personne. Le milieu n'existe pas en soi, il est le milieu de quelque chose ou de quelqu'un », soulignent Brunet, Ferras et Théry (2005, p. 330). Ailleurs, Berque élabore que « la réalité qui nous entoure n'est pas celle d'un environnement objectal (composé d'objets), regardé par un sujet individuel, mais celle d'un milieu dans lequel les choses participent à notre être même » (Berque, 2013, p. 62).

La réalité du milieu dépasse clairement le dualisme car elle est située au-delà de la dichotomie sujet-objet. Selon Berque (2013, p. 60), le milieu est un composé ternaire par la relation réciproque entre un sujet et un objet, mais le milieu est insaisissable par le mécanicisme moderne et la logique du tiers exclu qui le sous-tend.

 

Trois composantes de l'ontologie occidentale moderne à remettre en question

La mésologie est un paradigme encore peu connu comme je l’ai expliqué en introduction. Elle se définit de manière critique et constructive dans le dépassement de trois composantes essentielles de l'ontologie occidentale moderne : le dualisme moderne, le principe de l'identité du sujet et le principe du tiers exclu (Berque, 2014 ; 2014a).

Comme l'affirme Berque, « [l]a dichotomie entre le subjectif et l'objectif que nous appelons dualisme est à l'origine du couple d'oppositions conceptuelles modernes « nature contre culture »... Au contraire, la mésologie vise à comprendre ce qui, dans un milieu concret, unit en une seule réalité ce que le dualisme sépare en deux pôles. » (Berque, 2014a, p. viii).

L'opposition formelle entre sujet et objet est structurante pour le dualisme moderne.

« Dans la problématique de la mésologie, la question du sujet occupe une place cruciale. L'approche habituelle limite cette question aux affaires humaines, tandis que le reste - [les autres espèces] - est réduit à une objectivation mécaniste... Du dualisme du paradigme occidental moderne, corrélé et symétrique à l'objet scientifique moderne, a émergé le sujet individuel moderne, devenu l'acteur central de notre monde... Le sujet est devenu son propre fondement et en se coupant de son milieu il s'oppose à un monde qui devient alors lui-même objet. » (Berque, 2014a, p.x-xi).

En utilisant les notations formelles de la linguistique, Berque soutient que le dualisme moderne a une vision réductrice de la relation entre le sujet (S) et le prédicat (P) basée sur une supposée objectivité rationnelle.

En particulier, Berque (2014a, p. 68) montre que le dualisme moderne va de pair avec l'énoncé de base de la logique occidentale selon lequel « S est P » qui se lit : le sujet (S) est équivalent à son prédicat (P). Cela permet des jugements objectifs tels que « l'eau (S) est H2O (P) », au fondement de la science occidentale moderne. Cette binarité a prouvé son extraordinaire efficacité dans certains domaines techniques et physiques, bien qu'elle ignore arbitrairement l'interprète (I) par lequel, concrètement et historiquement, l'énoncé « l'eau est H2O » doit nécessairement être fait pour être qualifié de « scientifique » et supposé « objectif ». Certes, l'éviction de l'interprète fait partie du protocole habituel visant à éliminer toute subjectivité du jugement « S est P », mais cette éviction tacite condamne cette forme de science à un très fort réductionnisme.

Comment la mésologie propose-t-elle de dépasser ce dualisme réductionniste ?

Selon Berque (2014), la description de la réalité relative (r) peut être schématisée ainsi, r = S/P, ce qui donne : la réalité (r) est le sujet (S) en tant qu'il est prédiqué (sentit, agi, pensé, conçu, dit, exprimé…) (P), puisque saisir les choses, c'est les prédiquer (par l'action, par le sens, par la pensée, par les mots, par toutes autres formes d’expressions et de sensations). Prenons quelques exemples tirés de Berque (2010, p. 62-63). Pour la science, l'eau est saisie comme une composition chimique (H2O) ; pour un agriculteur, c'est une ressource ; pour traverser la rivière, c'est une contrainte ; c'est un risque lors d'un tsunami ; l'eau est aussi un agrément dans la fontaine du jardin, etc. L'eau n'est donc jamais abstraitement un objet pur (S), mais elle est toujours concrètement une chose S/P. L'eau (S) ne peut pas être seulement et uniquement H2O (P) comme l'affirme la science. Dans la réalité concrète, S ne peut jamais être égale à un et unique P, chaque interprète (I) produit sa propre réalité (r) à partir d'un lien spécifique entre S et P. Mais l’une des limites majeurs des sciences est que cette diversité des « choses » contre l’unicité des « objets » est le plus souvent éludée des raisonnements scientifiques pour des raisons quasi-mystique de quête de la « neutralité objective ». Dans tous les cas, il ne peut pas y avoir de discours, de pensée, de représentations ni même de mises en équation de l’eau sans un interprète (I).

La mésologie critique également le principe de l'identité du sujet tel qu'il est affirmé dans le Discours de la méthode de René Descartes (1637) (Berque, 2014, p. 39). Suivant la philosophie de Descartes, l'être du sujet moderne s'abstrait de tout milieu. Il existe en lui-même, indépendamment de ce qui l'entoure. La philosophie cartésienne affirme que le sujet est toujours le même, indépendamment des éléments extérieurs, et que cette abstraction du sujet de son milieu garantit son identité. La mésologie, au contraire, met l'accent sur l'intrication réciproque du sujet avec son milieu.

Le troisième principe que la mésologie se propose de dépasser est le principe du tiers exclu ou loi/principe du milieu exclu. La base de ce principe est l'affirmation « A est vrai et Non-A est faux ». Ce principe de logique formelle et de mathématique est en fait une extrême simplification des réalités vivantes et humaines : car il « n'admet qu'une seule explication de la réalité d’une entité objet dans une catégorie prédéfinie » (Shao, 2012, p. 3-4). Comme le précise Berque :

« Le principe du tiers exclu en science est une abstraction logique, car dans un milieu concret, et pour la mésologie, la réalité des choses est nécessairement tétralemme, c'est-à-dire les quatre composantes logiques de A et non-A : l'assertion (A) et la négation (non-A), la binégation (ni A ni non-A) et la biassertion (à la fois A et non-A). La logique de la mésologie va au-delà des binarités abstraites du dualisme (sujet-objet, nature-culture, sujet-prédicat, etc.) ; elle va également au-delà du principe du tiers exclu. » (Berque, 2019b, p. 4).

Pour notre sujet, dans lequel il est question d’ouverture des sciences, l'un des outils analytiques efficaces de la mésologie serait une schématisation tripartite qui caractérise la réalité d'une « chose » comme un objet (S) auquel un interprète (I) donne un sens particulier (P), la réalité relative (r) devient alors : r = S-I-P.

Si l'on applique cette formalisation à l'étude de la forêt dans les pratiques et les conceptions locales, la forêt (S) serait expérimentée, racontée, utilisée, exploitée, organisée, gérée, ritualisée, pensée ou imaginée par différents interprètes (I) sous la forme de différents prédicats ou significations (P), ce qui donne le schéma tripartite suivant :

Figure 1 : Diversité des réalités exprimées et observables sur la forêt.

 

Dans l'approche de Đinh Thanh Sang, certains éléments de la forêt utilisés par les populations locales, comme le bambou et le rotin, sont décrits avec une précision botanique basée sur des données qualitatives et surtout quantitatives. Cette approche technico-scientifique ne prend en compte que certains aspects de la réalité forestière telle que vécue par les populations locales. Malgré l’orientation arbitraire et réductrice de sa vision du monde, Đinh se permet néanmoins de prescrire ce qui doit être conservé et ce qui doit être éliminé dans les savoirs locaux sur la forêt. Đinh se concentre principalement sur les aspects techniques (P1), écologiques (botaniques) (P2) et économiques (P3) de la forêt. Tous les autres aspects (P4 à P11) sont ignorés ou minimisés. Cela ne poserait aucun problème dans une étude purement botanique, mais l'auteur se permet de glisser vers des jugements de valeur afin d'organiser « la gestion collaborative » des parcs nationaux (Đinh, 2020, p. 9). Analyser les comportements humains et les relations avec la nature avec des approches de type « sciences de la nature » pousse facilement vers un scientisme réducteur, voire franchement autoritaire qui se targue d’être « scientifique et rationnel » mais qui n’a pas les compétences et les outils adaptés pour décrire et analyser les « choses » humaines qu’il propose d’étudier.

La thèse de Dương Thị Bích Ngọc se concentre sur deux thèmes : l'histoire des politiques forestières et l'impact du paiement des services environnementaux, qui correspondent à P1, P2, P3, P4, P5 et P10. Ce sont des ingrédients typiques des études en sciences sociales (P1 à P5 et P10), mais l'originalité de Dương réside dans sa conscience claire de la nécessité d'intégrer les dimensions symboliques, cosmologiques et affectives pour les populations locales (P6, P7, P8 et P9). Mais Dương ne dispose que des outils scientifiques occidentaux classiques pour analyser les conceptions vietnamiennes de la nature, ces outils ne lui permettant pas d'explorer en détail, de décrire et de comprendre, la « Vietnamese strong pro-forest culture » et les « spiritual matters ». Elle souligne la diversité des relations possibles des paysans avec la forêt, sans pouvoir la décrire ni même l’inscrire dans une démarche de connaissance et de perception qui serait spécifique aux populations qu’elles a étudiées. Certains outils de la mésologie pourraient facilement compléter et élargir ses recherches.

Cầm Hoàng aborde un très large éventail de questions relatives aux conceptions et aux usages de la forêt parmi les populations ethniques du Vietnam. Comme Dương, il traite en détail des modes de vie et de pensée locaux (P1, P2, P3 et P4). Lorsqu'il aborde la dimension politique (P5), il intègre l'histoire politique locale des seigneurs thaïlandais traditionnels et leurs relations avec le parti-État vietnamien dominant. C'est un travail de complémentarité entre l'histoire textuelle (P10) et l'ethnohistoire orale (P11) qui fait écho, mais sans les expliciter, aux dimensions sociale (P4), symbolique (P6), religieuse (P7), cosmologique (P8) et esthétique/émotionnelle (P9) de la gestion de la nature par l'ethnie thaïe. Les différents prédicats du sujet « forêt » pour la population thaïe sont étroitement liés mais les liens entre eux ne sont pas mis en évidence. Pour comprendre le sens de la « forêt » pour un groupe social spécifique, ici les Thaïs, il faut être capable d'embrasser un grand nombre de ses prédicats et si possible de comprendre comment ils s’articulent et sont interdépendants entre eux.

Århem concentre ses recherches sur les cosmologies et ontologies locales (P6, P7, P8), mais il ne se limite pas aux thèmes religieux et spirituels, comme le font souvent les spécialistes de la religion. Il inclut également la dynamique du changement social local : les articulations, les tensions et les accords entre la société locale encore traditionnelle (P11) et les projets de développement en tant que politique et idéologie de la modernité. Ces analyses montrent les profondes interrelations entre les aspects techniques (P1), économiques (P2), écologiques (P3), sociaux (P5) et politiques (P6) et la double dimension historique (P10 et P11) des réalités locales. Ces articulations découlent du monde global contemporain, dominé par la production et l'économie libérale qui entoure et fait sens pour les acteurs locaux.

L'analyse des études sur les perceptions de la nature et les récits forestiers montre qu'une description précise des relations entre humains et non-humains doit prendre en compte les dimensions esthétique, émotionnelle et intuitive, mais aussi historique et ethno-historique. La réalité d'un groupe social spécifique (bûcheron, agriculteur, garde forestier, touriste, chercheur...) est ainsi composée d'un grand nombre de dimensions qui constituent les manières spécifiques de faire sens et d'être dans cet environnement naturel pour ce groupe. Ce point est essentiel car il place, au cœur de la recherche, le rôle de l'interprète dans la production de la réalité de la forêt, de la nature et donc dans ses manières d'agir avec et de la gérer.

 

Conclusion

Cette rapide analyse de quelques études qui s'intéressent aux perceptions et aux récits culturels sur la nature au Vietnam a montré une riche variété de manières de penser et de vivre la nature parmi les différentes populations du Vietnam. Les cosmologies, les systèmes symboliques et les ontologies qui soutiennent ces façons d'être dans le monde sont encore largement inconnus. Le poids de l'habitude et l'assurance de la rationalité de nombreuses approches scientifiques occidentales sont les principales raisons qui limitent notre accès à ces connaissances. L'autre facteur qui rend difficile l'appréhension des formes et des contenus de ces cosmologies et ontologies est que toutes les populations étudiées sont en contact avec des royaumes, des marchands, des missionnaires et des États depuis des siècles. De fait, ces populations savent et sont capables de déchiffrer les cultures étrangères et d'intégrer dans les leurs certaines logiques et éléments des ontologies respectives. Les interviewés (Kinh et ethnies minoritaires) savent que dans les systèmes de référence ontologiques et moraux de l'Occident moderne et du marxisme-léninisme (pour les fonctionnaires vietnamiens-Kinh), parler de ces choses n'est pas bienvenu et a même été fortement puni par l'État vietnamien à certaines époques.

Ce refus de parler met en évidence la capacité des interviewés à se situer dans des ontologies différentes selon le contexte social et politique. Ainsi, les chercheurs étrangers au groupe local sont enfermés dans une seule ontologie : occidentale et moderne naturaliste, à la base de la science. Ces populations ethniques peuvent, en fonction des contextes sociaux, symboliques et politiques, prendre leur propre ontologie comme point de référence, par exemple lorsqu'il s'agit d'accomplir le rituel qui renforce les liens entre leur communauté et les arbres sacrés. Lorsque des agents de l'État, des projets de développement ou des chercheurs viennent les interroger, ils s'appuient alors sur leur connaissance d'ontologies étrangères (kinh et occidentales) pour satisfaire ces agents extérieurs et produire ainsi des « paroles socialement [et politiquement] acceptables » (Bourdieu, 1984, p. 122). Localement, ces différentes ontologies peuvent être utilisées séparément ou en combinaison. Lorsqu'elles sont combinées, des ontologies hybrides ou superposées apparaissent, par exemple lorsque des patients vietnamiens utilisent conjointement la biomédecine occidentale et la médecine traditionnelle vietnamienne pour traiter la même maladie. Ces deux formes de médecine reposent sur des ontologies différentes, et l'étude de ces ontologies hybrides ou syncrétiques soulève de nouvelles questions pour la recherche. Peu de travaux abordent ces problèmes épistémologiques, alors qu'ils constituent une limite importante de nombreuses recherches actuelles.

Tous les textes sur la nature nous renseignent sur le ou les sens que certains interprètes lui attribuent et sur la position des interprètes. La nature peut être interprétée par des communautés locales qui lui donnent un sens particulier, ou par des scientifiques qui lui donnent un sens différent. Le problème fondamental est que de nombreux scientifiques ont encore du mal à accepter l'existence et l'importance d'un sens local de la nature. La plupart des études n'incluent que l'interprétation scientifique de la nature, ignorant les interprétations locales ou croyant qu'elles peuvent simplement être subsumées sous l'approche scientifique.

Quelle méthode et quel rapport aux autres nous permettraient de mieux prendre en compte et comprendre le sens qu'ils donnent aux choses ? L'anthropologue canadien Hy Văn Lương donne un début de réponse lorsqu'il expose trois piliers méthodologiques fondamentaux de la recherche anthropologique au Vietnam : « (1) a command of a local language as a vital entry point into the local sociocultural universe, (2) a sense of empathy for local culture and society, and (3) intensive participant observation, ideally and continuously for twelve months or more, in a particular community. » (Luong, 2006, p. 371). Ces objectifs, affirme-t-il, pourraient être atteints grâce à « long-term anthropological fieldwork by Western-based scholars, involving extended stay and total immersion in a studied community. » (2006, p. 372). Les anthropologues parlent souvent d’« immersion » pour décrire leurs relations avec les populations qu'ils étudient, mais en fait, il s'agit aussi de participation et d'intégration à la vie locale et d'empathie. Les trois piliers de la relation entre celui qui est étudié et celui qui étudie de Hy Văn Lương s’inscrivent dans un vaste débat anthropologique sur les différences et proximités entre « l’observation participante » et « la participation observante » (Soulé, 2007). Le fond de la question demeure la qualité de la relation que le chercheur choisit et impose à son interlocuteur. Toutes ces méthodes d’enquêtes et notions renvoient à la qualité de l'échange, à l'écoute et à la réciprocité - une volonté « to open oneself to the being of another » très chère aux approches de l’anthropologie sensible de Tim Ingold (2013, p. 342) - ; elles permettent de réduire la distance intellectuelle, culturelle mais aussi émotionnelle qui sépare ceux qui vivent et ceux qui les étudient ; autrement dit, elles permettent de vivre simplement avec eux. Ces attitudes ne sont pas valorisées par la science occidentale moderne car elles sont chargées d'affects et trop ancrées dans des cas particuliers dont il est supposément impossible de tirer des lois générales. Elles sont donc finalement jugées inacceptables et non scientifiques. La mésologie ouvre une voie alternative, permettant de penser rationnellement et rigoureusement en dehors ou sur les marges du système scientifique dominant et du dualisme naturaliste. Cette voie promet une nouvelle compréhension des relations et des récits des différentes communautés culturelles sur le monde naturel.

 

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1 Une « aire protégée » est, selon l'UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature et des Ressources), « un espace géographique clairement défini, reconnu, consacré et géré, par tout moyen efficace, juridique ou autre, afin d'assurer à long terme la conservation de la nature, des services écosystémiques et des valeurs culturelles qui lui sont associés » (Borrini-Feyerabend et al., 2013). L'UICN distingue cinq catégories d'aires protégées par ordre décroissant d'importance des mesures de protection : les réserves naturelles intégrales, les parcs, les monuments nationaux, les réserves à but spécialisé et les zones de paysages protégés. À ces catégories s'ajoutent les réserves d'animaux et les sites du patrimoine mondial de l'UNESCO.

2 La « caisse à outils de la mésologie » est détaillée avec les notices d’utilisation dans Berque (2014) et surtout dans La Poétique de la Terre (2014a).

3 Il est possible d’élargir les références aux travaux possédants certaines affinités fortes avec la mésologie, en particulier en philosophie et en philosophie des sciences avec par exemple Rémi Beau (2018), Catherine Larérre (1997), Isabelle Stengers (1993, 2003), et également à certaines branches de la physique : Jean-Marc Lévy-Leblond (1981 ; 1973), Michel Bitbol (1998), Ilya Prigogine et I. Stengers (1986). Mais cela dépasse le cadre défini pour cette étude.

4 Ce constat est devenu un classique d’une certaine épistémologie post-coloniale et écoféministe (voir Blanc, 2020 ; Maris, 2009  et Merchant, 2018).

5 Pour un aperçu des relations entre humain et nature dans l'histoire récente du Vietnam, voir Culas (2019, 2023 et 2024).

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Pratiques et logiques d’action en matière de lutte anti-vectorielle

Daniel Bley, Ghozlane Fleury-Bahi, Clara Galland, Manuel Hefti, Marie-Jo Menozzi, Oscar Navarro, Dominique Pécaud, Frédéric Simard, Anne Tallec, Nicole Vernazza-Licht

Résumé : Le projet de recherche EPLA LAV est un projet interdisciplinaire qui a pour objectif de recueillir des informations concernant les croyances, logiques d'actions et pratiques en matière de prévention contre les moustiques tigres (vecteurs du chikungunya et de la dengue) et de lutte anti-vectorielle (LAV) en amont du front d'invasion du moustique tigre en métropole. Pour ce faire, deux études ont été menées en Vendée et en Loire-Atlantique auprès des professionnels de santé (médecins généralistes, pharmaciens d'officines), ainsi...

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