Actes n°1 / Humanités environnementales : sciences, arts et citoyennetés face aux changements globaux. Actes du colloque organisé à Montpellier les 5-7 octobre 2021

Introduction : De quoi les Humanités environnementales sont-elles le nom ?

Bernadette Bichet, Stéphanie Carrière, Arnauld Chandivert, Miriam Cué, William’s Daré, Geoffroy Filoche, Julien Mary, Francis Ribeyre

Résumé

Introduction aux actes du colloque international « Humanités environnementales : Sciences, arts et citoyennetés face aux changements globaux » (Université Paul-Valéry Montpellier, 5-7 octobre 2021)

Mots-clés

Plan de l'article

Télécharger l'article

La crise écologique, dont les nombreuses manifestations (changement climatique, érosion de la biodiversité, pollutions…) sont de plus en plus intensément perçues et vécues par les êtres humains, interroge en profondeur les sciences, occasionnant certains réaménagements voire recompositions du champ académique (Emmett et Nye, 2017). Depuis la fin des années 1990, le courant des Humanités Environnementales (HE) émerge et se structure pour rassembler sous une bannière commune (et se décliner dans) les disciplines issues des humanités et des sciences sociales, comme l’histoire, la philosophie, la littérature (écocritique), l’anthropologie, mais aussi les arts plastiques et les arts du spectacle (Robin, 2017). Les HE s’assignent deux tâches fondamentales afin de redonner à voir des enchevêtrements : il s’agit de re-situer l'humain dans l'environnement et les non-humains dans les domaines sociaux, politiques, culturels et éthiques. Ces deux tâches visent à déconstruire la dichotomie nature/culture qui postule que les humains seraient libres de contrôler leur propre destin au sein d’un monde « naturel » plus large, dépourvu de sens et de valeurs (Rose et al., 2012).

Cette recomposition du champ académique s’inscrit en réalité dans une dynamique déjà ancienne. Dans les années 1970, alors que les recherches en matière environnementale sont menées exclusivement par les chercheurs en sciences biophysiques, certains chercheurs issus des sciences humaines et sociales (SHS) se tournent vers ces nouveaux enjeux (Blanc et al., 2017). A une époque où, en France tout particulièrement, les SHS sont profondément travaillées par la sociologie durkheimienne, ils sont encore marginaux, parfois même accusés de trahir la question sociale (Fressoz et al., 2014). Au sein de chaque discipline issue des SHS, ils parviennent cependant à développer des questionnements et méthodologies propres pour aborder les questions environnementales, tandis que de nouveaux espaces de recherche interdisciplinaire s’incarnent progressivement dans des démarches originales, comme l’ethnoécologie (Meilleur, 1987 ; Blanc, 2021) ou l’écologie humaine (Crognier E., 1974 ; Lamy M., 2001 ; Vernazza-Licht, 2024). De même, dans de nombreux pays (la France est un cas relativement à part), les établissements d’enseignement supérieur proposent aux étudiants de se former en « études de l’environnement » (environmental studies), qui combinent souvent sciences biologiques, sciences physiques et SHS. C’est ainsi par exemple que l’enseignement de l’écologie humaine apparaît en 1972 (Hens et al., 2003), au Centre d’écologie humaine de Genève, par la création du Certificat International d’Ecologie Humaine (CIEH). Progressivement, le processus s’élargit à d’autres universités : Paris V et Toulouse III en 1973 (universités fondatrices, avec Genève), puis Bordeaux I et Aix Marseille en 1974, les universités de Bruxelles et l’université de Padou en 1976[1].

Dans quelle mesure les recherches en « humanités environnementales » se démarquent-elles de la recherche en « études environnementales » ? Comment le courant des HE s’est-il structuré ? C’est à ces questions, principalement, que le colloque « Humanités environnementales : sciences, arts et citoyennetés face aux changements globaux » (Montpellier, 5-7 octobre 2021) entendait répondre[2]. Ce colloque était coorganisé par la Société d’Ecologie Humaine, l’UMR SENS et la MSH SUD, que l’équipe en charge des actes tiennent encore à remercier pour leur soutien. Nous remercions également toutes les personnes qui ont contribué, d’une manière ou d’une autre (personnels d’appui, membres du comité d’organisation et du conseil scientifique, sans oublier bien évidemment les intervenants eux-mêmes), au succès de ce colloque. Nous espérons que les actes publiés ici – malgré les délais de publication et leur caractère partiel – rendront justice à leur investissement et témoigneront du succès de cette rencontre.

 

Raisons d’être des humanités environnementales

La spécificité du courant des HE est la conséquence de plusieurs facteurs. D’abord, les sciences biologiques, physiques et sociales mettent traditionnellement et fondamentalement l’accent sur l’explication et la projection, au regard, respectivement, des phénomènes naturels et des comportements humains. Les HE, quant à elles, s’intéressent également aux significations que les êtres humains confèrent à leur expérience propre : la question du sens et des valeurs, souvent rejetée par les sciences sociales parce que jugée difficile à traiter de manière neutre, est placée au cœur du projet des HE (Rose et al., 2012). D’autre modes de production de connaissances sont dès lors promus, fondés sur les affects et l’expérience individuelle située et incarnée (savoirs expérientiels, locaux, traditionnels, autochtones…). Ainsi, les HE ne visent pas tant à contribuer à résoudre des problèmes environnementaux complexes qu’à éclairer la manière dont les humains composent avec ces problèmes, et comment ceux-ci sont distribués de manière inégale, géographiquement et socialement (Castree, 2023). En cela, les HE proposent un prolongement du projet des sciences sociales et une plateforme de dialogue avec les sciences de la nature. Au passage, elles élargissent la panoplie de leurs objets et approches méthodologiques, affirmant un certain « tournant matériel » – la matière première des sciences environnementales étant matérielle, physique, chimique ou biologique –, venant enrichir leurs approches classiques fondées sur le signifié des mots, des gestes humains et des pratiques sociales (Conesa et Mary, 2023 ; Rollin et al., à paraître).

Au-delà, dans l’optique des HE, le futur n’est pas problématisé de manière technique, mais de manière sociale et culturelle : ce futur est à imaginer, autant qu’à étudier. Si les HE peuvent tenter d’influer sur les décideurs politiques, elles s’adressent à un public bien plus large : chercheurs de toutes disciplines, citoyens, militants, ou tout simplement êtres humains touchés directement ou indirectement par la crise écologique. Les HE se concentrent dès lors aussi sur les questions de justice (sociale / environnementale), et procèdent d’un fort engagement critique à l’égard des rapports de pouvoir, appréhendés comme conduisant à la fois à la crise écologique et aux rapports d’iniquité sociale (Nord-Sud en particulier). Dans le même temps, les HE se placent au cœur d’un espace de tensions entre, d'une part, leur capacité à déstabiliser les récits dominants, et d’autre part, le constat d’une urgence à s’impliquer de manière constructive pour contribuer à façonner des futurs plus souhaitables. Les HE relèvent donc nécessairement d’un ambitieux effort de configuration d’un espace de critique et d’action (Rose et al., 2012), autrement dit d’un projet politique conduisant notamment à reconfigurer les relations entre sciences et société, dans une approche plus interactionniste (Barré et Jollivet, 2023).

Si les HE bousculent les canons de la scientificité, c’est également parce qu’elles adoptent un postulat original au regard de la tradition intellectuelle occidentale. Les HE réhabilitent d’autres modes de production de connaissance sur la nature, plus anciens et/ou extra-occidentaux, qui ont été progressivement disqualifiés et remplacés par la science occidentale (Whyte, 2017). Comme le soutient Bruno Latour (1993), à partir du XVIIe siècle, la science occidentale a institutionnalisé une forme de séparation entre les humains et la nature, faisant de la nature un objet de connaissance définissable et contrôlable. La prémisse de départ des HE est que cette distinction, et l’anthropocentrisme occidental qu’elle véhicule, sont à réinterroger.

Les HE cherchent explicitement à abolir l’a priori de l’extériorité de la « nature » par rapport au « social ». L’objectif est de se départir de la philosophie kantienne – on pourrait même remonter jusqu’à la conception aristotélicienne de l’homme comme « animal rationnel » – qui a imposé une conception de l’exceptionnalité de l’humain et de sa raison par rapport aux êtres et objets non-humains, conception qui a structuré les sociétés occidentales dans leur compréhension du monde et dans leur action (Granjou, 2016). Il s’agit dès lors de reconnaitre le fait que les réalisations humaines n’existent que parce qu’elles sont prises dans, et conditionnées par, un ensemble d’interactions avec les mondes non-humains (Neimanis et al., 2015). De même, les HE postulent que le genre de connaissance qui s’est construit dans les pays du Nord est profondément socio- et occidentalo-centré, ancré dans des manières de concevoir le monde irréductiblement situées (Descola, 2005), voire que l’universalité de la connaissance telle que définie par les sciences occidentales s’apparente à une forme d’impérialisme (Chakrabarti, 2007 ; San Martin et Wood, 2022).

 

Prémisses et structuration du champ des humanités environnementales

Les HE ne proposent ni un nouvel objet d'étude, ni une nouvelle perspective humaniste sur un domaine non-humain, ni même un ensemble particulier de nouvelles méthodes. Plutôt, les HE combinent des perspectives humanistes et des méthodes déjà développées dans une demi-douzaine de disciplines au cours des quatre dernières décennies (Heise, 2017). A titres d’exemples, la philosophie environnementale s’est développée à partir des années 1970, tout comme la sociologie de l’environnement, autour notamment des travaux de Frederick H. Buttel (1978) ; l’histoire environnementale s’est quant à elle structurée à partir des années 1970 (aux Etats-Unis)-1990 (en Europe et en Asie) (Locher et Quénet, 2009), et l’écocritique au début des années 1990. Bien que chacune de ces approches ait lutté pendant longtemps pour être pleinement accréditée par sa propre discipline « mère », leur reconnaissance académique a ouvert ces dernières années la possibilité de collaborations plus étroites avec des disciplines voisines telles que, notamment, l’anthropologie environnementale, la géographie culturelle et l’écologie politique (Choné et al., 2016).

Les précurseurs de cette manière de voir sont nombreux. Quelques exemples peuvent être brièvement mentionnés. L’historien Lynn White Jr., dans son article publié en 1967 dans la prestigieuse revue Science et intitulé « The historical roots of our ecological crisis », montre que « ce que les gens font à propos de leur écologie dépend de ce qu’ils pensent d’eux-mêmes par rapport aux choses qui les entourent » (White, 1967, p. 1207). Alors que l’industrialisation, la guerre (en particulier du Vietnam), l’agriculture moderne, la question énergétique et plus globalement la mise en marché des ressources naturelles, s’affirmaient comme les causes immédiates et visibles de la destruction de l’environnement aux États-Unis et au-delà, White orientait ses lecteurs vers des causes plus profondes : les modèles de pensée vis-à-vis des mondes non-humains. Selon lui, ces modèles étaient antérieurs à l’ère moderne et remontaient a minima à la théologie judéo-chrétienne européenne, qui dominait la vie quotidienne à la fin du Moyen Âge. Diffusée par les églises à travers leurs nombreuses congrégations, la vision judéo-chrétienne élevait les humains au-dessus de la nature. Sans cette vision anthropocentrique et hiérarchique du monde, soutenait White, l’industrie et l’agriculture modernes n’auraient pas pu se développer dans un Occident de plus en plus laïc. Pour lui, il s’ensuit que la solution à la « crise écologique » réside avant tout dans la remise en question de croyances sociétales fondamentales et dans l’émergence de nouvelles valeurs. Son article était donc à la fois diagnostique et critique, identifiant la science et la technologie comme des vecteurs de pensée anthropocentrique, disqualifiant et instrumentalisant le monde non-humain.

Un processus parallèle s’est produit en philosophie, par exemple autour de la question animale. Les besoins et les droits des animaux sont devenus une préoccupation particulière à mesure que la consommation régulière de viande s’est mondialisée. Peter Singer a publié Animal Liberation en 1975, et d'autres ont suivi, comme Tom Regan, avec son livre The Case for Animal Rights (1983). Ces travaux pionniers ont nourri d’autres disciplines, conduisant par exemple l’histoire à « prendre le point de vue animal » (Baratay, 2015 ; 2012), et au-delà à un véritable « boom de la question animale » (Frioux, 2016). Plus largement, d’autres chercheurs ont tenté d’identifier des principes et des arguments convaincants destinés à favoriser un mode de vie plus « respectueux de la nature » (Larrère et Larrère, 2015) et à les relier à des questions de dominations entre les humains entre eux (Hage, 2017).

La communauté académique australienne a eu un rôle fondateur dans cette réorganisation des savoirs (Castree, 2023). Quelques chercheurs travaillant à l’Université nationale australienne et, plus tard, à l’Université de Nouvelle-Galles du Sud ont ouvert des canaux de communication entre les « humanités écologiques » naissantes. À la fin des années 1990, un groupe de travail national sur les humanités écologiques a été créé par l’historien Tom Griffiths et le juriste Tim Bonyhady. La première réunion a été organisée par l’anthropologue environnementale Deborah Bird Rose au Centre d’études sur les ressources et l’environnement de l’Université nationale australienne. Les autres participants étaient l'ethnographe Stephen Muecke, le sociologue Tim Rowse, l'écophilosophe Freya Mathews et la critique littéraire Catherine Rigby. Début 2004, un espace dédié aux humanités écologiques apparait dans la revue Australian Humanities Review. Plus tard, en 2012, la revue en accès libre Environmental Humanities est lancée par l’Université de Nouvelle-Galles du Sud (Sydney), où Deborah Bird Rose travaille désormais.

Depuis, les humanités environnementales se sont diffusées dans le monde entier, des campus américains aux squats d’artistes de Berlin et de Sao Paulo. A l’instar d’autres établissements académiques, l’Université Paul-Valéry de Montpellier propose un parcours de master en humanités environnementales, et l’UMR SENS et la Société d’écologie humaine ont organisé le colloque ici présenté en octobre 2021, avec le concours de la MSH SUD.

 

Les orientations du colloque international « Humanités environnementales : sciences, arts et citoyennetés face aux changements globaux »

L’objectif du colloque – réunir des disciplines qui, en France au moins, évoluent dans des sphères très largement séparées – a pu être rempli, malgré toutes les incertitudes et complications liées à la pandémie de Covid-19. Une centaine de participants a ainsi pu se rencontrer et débattre. Avec une majorité de personnes présentes sur le site St-Charles de l’Université Paul-Valéry de Montpellier, et une petite partie derrière leur écran d’ordinateur, ce colloque était une occasion bienvenue de se rassembler après des mois de contraintes sanitaires.

Outre les conférences plénières qui ont été l’occasion d’entendre des collègues reconnus (Marie Blaise, Christophe Bonneuil, Dominique Bourg…) ayant réfléchi de longue date à ce que la prise en compte de l’environnement implique pour l’existence même de leur discipline, cinq thématiques ont été explorées par les communicants dans les sessions parallèles.

La première thématique traitait des questions épistémologiques, en se focalisant sur l’émergence, les contours et le contenu des humanités environnementales. En plus de s’intéresser à la généalogie de ce champ, les discussions ont cherché à interroger ses liens éventuels avec des traditions scientifiques plus anciennes ayant également pour objectif de penser les rapports entre société et nature (écologie politique, ethnoécologie, écologie humaine...), et avec d’autres champs en émergence comme la science de la durabilité (Clark & Dickson, 2003 ; Kates, 2011). Les débats ont permis de porter un regard plus ou moins renouvelé, en particulier sur l’interdisciplinarité, cette approche fondamentale qui agite la science depuis longtemps déjà et dont les promesses ne semblent pas toujours tenues.

Dans le cadre de la deuxième thématique, les participants se sont demandés dans quelle mesure les humanités environnementales, à la fois, provoquent et rendent compte des évolutions actuelles que connaissent les métiers de la recherche et de l’enseignement supérieur. Une question récurrente était celle de l’existence éventuelle (et des conséquences le cas échéant) de formes inédites d’interactions avec la « société́ civile » (recherche collaborative, sciences et recherches participatives…), dans sa dimension plus ou moins engagée, voire militante, interrogeant la place du chercheur dans ces nouvelles alliances et dans la société.

La troisième thématique concernait la transformation du « gouvernement de la nature », avec une attention particulière à l’égard de l’opposition entre des logiques de mise en commun (des territoires, des savoirs, des usages) et des logiques d’accaparement et d’exclusion (appropriation des terres et des ressources, privatisation du patrimoine auparavant considéré comme commun). Des constats ont été dressés, notamment celui de la fracture grandissante entre des pratiques citoyennes collectives (mouvements « alter », réseaux transnationaux, mouvance des communs...) et des politiques centralisées (planification étatique, capitalisme autoritaire, politiques top down...). Si ces formes d’action politique se fondent sur des savoirs différents, voire contradictoires, elles sont également largement influencées par un changement radical des imaginaires individuels et collectifs. En effet, les transformations de notre relation à l’exploitation du vivant (agriculture, élevage et pêche) sont intimement liées à une évolution du regard sur ce qui est sain pour les humains mais aussi sur la place et la valeur reconnues aux non-humains.

La quatrième thématique a été l’occasion de rendre compte du fait que l’histoire de la réflexion environnementale a été, pour une part significative, alimentée par des travaux issus des (et/ou en lien avec les) pays du Sud. Alors que les discours sur la globalisation tendent à affaiblir la légitimité des analyses locales et régionales, un grand nombre de chercheurs (dont plusieurs de nos partenaires du Sud) ont discuté de la manière dont les humanités environnementales se déclinent au regard des enjeux spécifiques des pays du Sud. Les questions d’inégalités et d’injustices environnementales ont été largement débattues, notamment dans leur rapport aux représentations de la « nature » qui évoluent dans des contextes caractérisés à la fois par un fort pluralisme (juridique, culturel...) et par des dynamiques de convergence (politique, économique…).

Enfin, la cinquième thématique s’intéressait aux rapports entre arts, lettres et action collective autour de la problématique environnementale. Dans ce champ extrêmement foisonnant, jalonné d’ouvrages érudits ou bien de BD grand public, d’expositions ayant pignon sur rue ou bien de happenings sauvages, une grande diversité de questions a été abordée. Les discussions ont notamment porté sur le rôle joué par les arts plastiques, les arts du spectacle et la littérature dans l’émergence d’un nouveau regard – voire de nouvelles pratiques – porté sur les rapports entre environnement et société, tant dans le façonnement des imaginaires individuels et collectifs que dans l’orientation des actions « citoyennes » plus ou moins en décalage avec les formes classiques de l’expression du politique.

 

Organisation des actes

Les actes publiés ici sont le reflet de la richesse et de la diversité des échanges lors du colloque « Humanités environnementales : sciences, arts et citoyennetés face aux changements globaux ».

Certains articles se revendiquent explicitement des humanités environnementales, d’autres en esquissent en creux les contours, en regard notamment d’autres paradigmes. Tous en revanche, chacun à leur manière et depuis différents points de vue disciplinaires et postures d’enquête, questionnent les grands enjeux au cœur des humanités environnementales : les enjeux de justice sociale et environnementale ; les interactions et formes d’attachement entre mondes humains et non-humains, entendus pour l’essentiel dans une approche post-ressourciste et résolument inclusive des communs environnementaux ; la nécessité, face à la complexité des questions socio-environnementales – en particulier ici appliquées aux enjeux de santé globale –, de développer une démarche ouvertement interdisciplinaire, voire transdisciplinaire, associant différents domaines de connaissances à l’interface entre la recherche et le reste du monde social ; les rapports entre le temps long de la terre et du vivant et le temps court de l’urgence écologique, questionnant notamment la capacité des individus – y compris des chercheurs – à s’engager…

Une originalité de ces actes réside dans leur attachement à s’intéresser aux approches sensibles des questions socio-environnementales (dimension sensible du monde et méthodes sensibles pour l’interroger), et à leurs prolongements concrets dans la mobilisation des interactions arts-sciences pour renouveler notre appréhension des enjeux écologiques. Dans ce volume, sous différentes plumes, la démarche artistique est en effet tour à tour envisagée comme mode d’interpellation, de découverte, d’investigation, de médiation et de politisation des questions socio-environnementales, ouvrant il nous semble un chantier intéressant pour le champ des humanités environnementales.

Pour l’heure, nous ne développerons pas plus précisément la structuration de ces actes car ceux-ci seront publiés en deux temps. Une deuxième série d’articles viendra en effet prochainement enrichir ce volume. Cette publication sera l’occasion de présenter plus en détails les apports de ce corpus et de le mettre en regard du programme des humanités environnementales.

 

Bibliographie

Baratay, E. (2015). Pourquoi prendre le point de vue animal ? Religiologiques, n° 32, 145-165.

Baratay, E. (2012). Le point de vue animal, une autre version de l’histoire. Paris : Seuil.

Barré, R. & Jollivet, M. (2023). Interdisciplinarité et recherche participative : deux régimes de recherche pour la transition écologique et solidaire. Une mise en perspective programmatique. Natures Sciences Sociétés, 31, 110-119. https://doi.org/10.1051/nss/2023015

Bird, D. Bird, Thom van Dooren, T., Chrulew, M., Cooke, S., Kearnes, M., and O’Groman, E. (2012). Thinking through the Environment, Unsettling the Humanities. Environmental Humanities, 1, 1-5. https://doi.org/10.1215/22011919-3609940

Bichet, B., Gaspar-Vareille, M., Légeron, M.L., Ribeyre, F., et Surville, J.M. (2024). Le Certificat International d’Ecologie Humaine (CIEH) : un apprentissage à l’écologie humaine - Fondements scientifiques et modes d’appropriations. In : Vernazza-Licht, n. (dir.), L’écologie humaine. Carrefour des disciplines. Enjeux, pratiques, perspectives, 87-122. URL : http://societedecologiehumaine.org.

Blanc, G., Demeulenaere, É., et Feuerhahn, W. (dir.) (2017). Humanités environnementales. Enquêtes et contre-enquêtes. Paris : Publications de la Sorbonne, coll. Histoire environnementale.

Julien Blanc, J. (2021). Faire face à la crise écologique : l’ethnoécologie comme pratique de connaissance engagée. Revue d’ethnoécologie, 20. URL : http://journals.openedition.org/ethnoecologie/8741

Buttel, F.H. (1978). Environmental Sociology: A new Paradigm? The American Sociologist, 13, 252-256.

Castree, N. (2023). Environmental Humanities. In: Richardson, D., Castree, N., Goodchild, M.F., Kobayashi, A., Liu, W., and Marston, R.A. (eds), International Encyclopedia of Geography. https://doi.org/10.1002/9781118786352.wbieg2127

Choné, A., Hajek, I., et Hamman, P. (2016). Guide des Humanités environnementales. Villeneuve d'Ascq : Presses Universitaires du Septentrion.

Chakrabarty, D. (2007). Provincializing Europe, Postcolonial Thought and Historical Difference. Princeton: Princeton University Press.

Clark, W. C., & Dickson, N. M. (2003). Sustainability science: The emerging research program. Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 100(14), 8059. https://doi.org/10.1073/PNAS.1231333100

Conesa, M., & Mary, J. (2023). Le Groupe Interdisciplinaire sur l’Électricité Atmosphérique Naturelle (GIEAN) : Retour sur une expérience interdisciplinaire radicale. Journal of Interdisciplinary Methodologies and Issues in Sciences, Vol 11 - Penser l'interdisciplinarité en pratique. https://doi.org/10.46298/jimis.12267

Crognier, E. (1974). L’écologie humaine. Que Sais-je, № 1607, Paris : PUF.

Descola, Ph. (2005). Par-delà nature et culture. Paris : Gallimard, coll. NRF Bibliothèque des sciences humaines.

Emmett, R.S., and Nye, D.E. (2017). The Environmental Humanities. A Critical Introduction. Cambridge: MIT Press.

Fressoz, J., Graber, F., Locher, F. & Quenet, G. (2014). Introduction. In : Jean-Baptiste Fressoz, J.-B. (dir.), Introduction à l’histoire environnementale. Paris : La Découverte, 3-10.

Frioux, D. (2016). Le boom de la question animale en France. Études, 6, 89-90. https://doi.org/10.3917/etu.4228.0089

Granjou, C. (2016). Sociologie des changements environnementaux : futurs de la nature. Londres : ISTE, coll. « Système Terre-Environnement ».

Haje, Gh. (2017). Le Loup et le Musulman. L’islamophobie et le désastre écologique. Trad. L. Blanchard. Marseille : éd. Wildproject.

Heise, U. (2017). Plants, Species, Justice – and the Stories We Tell about Them. In : Heise, U., Niemann, M., and Christensen, J. (eds), The Companion to the Environmental Humanities. New York: Routledge, 1-10.

Hens, L., Ahimbisibwe, J., Bakony, Y., Moeschler, M., Baudot, P., Bonniol, J.L., Burgenmeir, B., Lefevre-Witier, P., Mascarenhas, J.M., Ribeyre, F., Riolfatti, M., and Veiga, T. (2003). Human ecology training programmes: the international centre for Human ecology. J. Hum. Ecol., 14(6), 405-415.

Kates, R. W. (2011). What kind of a science is sustainability science? Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 108(49), 19449–19450. https://doi.org/10.1073/pnas.1116097108

Lamy, M. (2001). Introduction à l’écologie humaine. Paris : Ellipses.

Larrère, C. & Larrère, R. (2015). Penser et agir avec la nature. Une enquête philosophique. Paris : La Découverte.

Latour, B. (1993). Nous n’avons jamais été modernes. Essai d’anthropologie symétrique. Paris : La Découverte.

Locher, F. & Quenet, G. (2009). L'histoire environnementale : origines, enjeux et perspectives d'un nouveau chantier. Revue d’histoire moderne & contemporaine, 56-4, 7-38. https://doi.org/10.3917/rhmc.564.0007

Meilleur, B. (1987). Des ethnosciences à l’ethnoécologie ou du rôle des représentations écologiques populaires dans des sociétés traditionnelles. Ecologie Humaine, vol. V, n° 2, 3-23. hal-03917045 

Neimanis, A., Åsberg, C., and Hedrén, J. (2015). Four Problems, Four Directions for Environmental Humanities: Toward Critical Post-Humanities for the Anthropocene. Ethics and the Environment, 20(1), 67–97.

Regan, T. (1983). The Case for Animal Rights. Berkeley: University of California Press.

Robin, L. (2017). Environmental humanities and climate change: understanding humans geologically and other life forms ethically. WIREs Clim Change, vol. 9, 499.

Rollin, J., Binot, A., et Mary, J. (article soumis en 2024). L’interdisciplinarité sur le(s) métier(s) : enquête sur une communauté de scientifiques s’intéressant aux transmissions vectorielles. Natures Sciences Sociétés (article en cours d’expertise).

San Martin, W. & Wood, N. (2022). Pluralising planetary justice beyond the North-South divide: recentring procedural, epistemic, and recognition-based justice in earth-systems governance. Environmental Science and Policy, 128, 256-263.

Singer, P. (1975). Animal Liberation. New York: HarperCollins.

Vernazza-Licht, N. (2024). L'écologie humaine, carrefour des discipline. Enjeux pratiques, perspectives. En ligne : http://societedecologiehumaine.org/

White, L. (1967). The Historical Roots of Our Ecological Crisis. Science, 155, 1203–1207.

Whyte, K. (2017). Indigenous Climate Change Studies: Indigenizing Futures, Decolonizing the Anthropocene. English Language Notes, vol. 55 (1-2), 153-162.

 

[1] Une histoire de cette formation, proposée à l’université Bordeaux 1 jusqu’en 2014, est présentée dans un article publié récemment (Bichet et al., 2024).

Continuer la lecture avec l'article suivant du numéro

Humanités environnementales et science de la durabilité

Julien Blanco, Clémence Moreau, Stéphanie Carrière, François Calatayud, Castella Jean-Christophe, Emilie Coudel, Miriam Cué, Élodie Fache, Dominique Hervé, Pierre-Yves Le Meur, Georges Serpantie, Noé De Vos, Camille Noûs

Résumé : La science de la durabilité (SD) et les humanités environnementales (HE) sont deux courants scientifiques en plein essor qui visent tous deux à renouveler les approches scientifiques autour des enjeux environnementaux actuels. Dans cette contribution, nous tentons de mieux comprendre les contours respectifs de ces deux courants, et ce faisant d’en faire émerger les différences et complémentarités. Nous avons pour cela mis en œuvre une analyse bibliographique standardisée, complétée par une analyse lexicale des résumés des publications identifiées...

Lire la suite

Du même auteur

Tous les articles

Aucune autre publication à afficher.